Coordination : Geneviève Colas - genevieve.colas@secours-catholique.org - 06 71 00 69 90

Intégrer les différences culturelles dans l’accompagnement des victimes de traite

Agir dans un environnement interculturel ne relève pas uniquement du domaine des entreprises multinationales. L’accompagnement social invite à rencontrer des personnes d’origines extrêmement variées et des problématiques très diverses. 

Autant les collaborateurs et collaboratrices des grandes entreprises sont formés aux interactions interculturelles, autant les personnes impliquées dans le domaine du social le sont souvent moins. Pourtant ils sont confrontés à ce défi en permanence.

Un accueil multiculturel respectant l’histoire de chacun

Accompagner au quotidien dans un foyer, des personnes victimes de traite des êtres humains est une expérience intense au quotidien mais le facteur de la différence culturelle rend cette expérience encore plus riche.

Chaque année l’ AFJ reçoit plus d’une centaine de demandes pour des femmes nécessitant une mise en sécurité au foyer. Ces demandes concernent selon les années des femmes de 20 à 26 nationalités différentes. Chaque situation est étudiée afin de répondre aux besoins des personnes victimes. Et tout est fait pour préserver la diversité. L’équipe du foyer, avec des origines elles aussi diverses, se confronte au quotidien à la différence culturelle des femmes accueillies. Les personnes intervenant actuellement sont françaises, espagnoles, colombiennes, roumaines, marocaines. Les femmes accompagnées aujourd’hui sont nigérianes, sénégalaises, marocaines, chinoises, éthiopiennes, ivoiriennes, françaises…

Si le groupe est très hétéroclite, il se définit à travers une même ambition : maintenir le bien vivre ensemble en respectant les besoins d’accompagnement individuel.

Une équipe d’accueil sensibilisée aux différences culturelles pour intégrer celles-ci dans l’accompagnement

L’équipe  du foyer représente des compétences diverses permettant d’intervenir de manière spécifique auprès de certaines victimes. Mais les membres de l’équipe doivent aussi acquérir ou approfondir des compétences interculturelles pour mieux prendre en compte le profil des victimes. Une « veille » concernant les problématiques de la traite des êtres humains est nécessaire compte tenu de l’évolution permanente des réseaux. Ces compétences devraient être également intégrées par tous les acteurs pouvant rencontrer les victimes de la traite.

En effet , il n’est pas possible d’avoir un médiateur culturel pour chaque nationalité rencontrée. En revanche il est possible de former l’équipe à décrypter les différences culturelles et à analyser la manière dont ces dernières impactent la qualité de l’accompagnement.

Une vision de la légitimité très différente d’un pays à l’autre

Pour certaines cultures ce sera, l'âge, d’autres le diplôme, le niveau social, l'expérience professionnelle… 

Par exemple, certains considèrent la personne la plus âgée comme la plus légitime. C’est la personne sage, la personne qui a l’expérience de la vie, la personne qui a aussi un rôle paternel, qui protège. 

La prise en compte de ce facteur permet à l’équipe de comprendre les relations entre les différents membres du réseau, d'expliquer une part de l’emprise et la force des têtes de réseaux,… Mais être conscient de l’impact du facteur âge, expérience, compétences dans cette structure n’est pas suffisant. Cette information peut être cruciale pour l’équipe car elle permet de mieux comprendre les attentes des personnes accueillies. 

Déconstruire les mécanismes d’emprise culturels pour regagner la confiance des victimes

Etre écouté n’est évident pour personne dans l’équipe du foyer.

Certaines victimes nigérianes de la traite, par exemple, ont fait allégeance à leur Madame, basée sur un rituel, acceptant leur autorité en retour de protection… Notre rôle est de démontrer peu à peu que, ni le réseau, ni leur Madame ne les ont protégées. Nous pouvons dans ce cas déconstruire les promesses du réseau sans pour autant remettre en cause leur croyance. 

La confiance arrive avec le temps, grâce aux actes et aux petites réussites du quotidien

Interroger le rapport au succès pour reconstruire un projet de vie menant à l’intégration sociale

Les photos que certaines victimes postent sur les réseaux sociaux montrent leur « succès », l’argent, les vêtements de marque…  mener une réflexion avec  les femmes accueillies sur le message qu’elles véhiculent sans jamais les culpabiliser, les juger ou les mépriser est important. Leur image leur appartient. Travailler sur l’image et son interprétation permet d’avancer.

Souvent les femmes arrivent dans le foyer avec très peu de choses. Cependant elles peuvent avoir un téléphone de dernière génération ou un sac ou des chaussures de marque.

Les professionnels doivent savoir que ces signes extérieurs de richesse sont un élément culturel très important. Le regard de l’autre est marque de reconnaissance, de succès. Il ne faut pas juger ces achats. 

Appui éducatif et psychologique se complètent pour travailler sur le budget, sur la vraie valeur des choses, la notion de la prévision, de l’épargne…

Des soins qui s’adaptent à la culture de chacun

Dans certaines sociétés la psychologie, la psychiatrie n’ont pas leur place comme dans la nôtre. Il est donc essentiel de proposer nos théories de soins sans les imposer. Collaborer avec un tiers dans la relation (interprète ou médiateur), accepter les possibilités de soins proposées par d’autres cultures, s’interroger sur les enjeux de pouvoir dans la relation de soins, sur les représentations de la souffrance et développer des compétences en anthropologie médicale : représentations du corps, de la sexualité, de la grossesse… tout cela est nécessaire dans l’accompagnement des femmes victimes pour leur reconstruction.

Inscrire son projet de vie dans le temps et l’espace 

Dans certaines cultures, on considère que le futur de l’homme et de la femme dépendent directement de la nature, d’un Dieu… Parfois l’avenir est déjà écrit : dans ce cas, prévoir n’a pas de sens puisque on ne sait pas à quoi il faut se préparer. Cependant, ailleurs, cette incertitude va avoir un effet contraire. Des plans vont être mis en place à l’infini pour permettre d’ être prêts à toute éventualité. Le rapport au futur, à l’incertain est sérieusement pris en compte dans l’accompagnement des personnes victimes de traite. Si le pas à pas est parfois nécessaire, il faut aussi parfois freiner et temporiser… s’adapter en permanence.

Une veille culturelle continue face aux évolutions sociétales  

La confrontation à la différence culturelle est permanente dans un lieu de vie où les temps collectifs sont majoritaires et où les dynamiques de groupes sont influencées par les nationalités présentes. Un travail de régulation, de médiation évite de basculer dans le mode de fonctionnement du pays le plus représenté.

Il ne s’agit pas d’imposer la culture française mais d’identifier les différences et de travailler sur les leviers permettant à tout le monde de faire un travail d’adaptation multidirectionnel.

La prise en charge de la dimension interculturelle permet d’avoir un regard ample, empathique et hors de jugements. Cela permet également de garder une objectivité et de mieux analyser ses pratiques.

Mais la culture n’est pas figée, elle se modifie et évolue avec la société plus ou moins vite en fonction des évènements. Il faut rester en veille et ouvert à un monde global mais qui reste encore plein de diversité.


L'association AFJ

C’est une association comprenant un foyer de mise à l’abri de 12 places et un appartement de 3 places à destination des femmes victimes de traite à des fins d’exploitation sexuelle.

Elle propose un accompagnement global des victimes : mise à disposition d’un hébergement, suivi administratif (ouverture des droits et régularisation administrative), suivi psychologique, actions éducatives d’insertion (apprentissage du français, accompagnement d’insertion professionnelle). Des activités sont proposées aux femmes au sein du foyer.

L’Accompagnement est effectué par une équipe de professionnels et des bénévoles. 


Article écrit en collaboration avec Yolanda Gutierrez, directrice d'AFJ