Coordination : Geneviève Colas - genevieve.colas@secours-catholique.org - 06 71 00 69 90

Le 3ème plan national de lutte contre exploitation et traite des êtres humains 2024-2027

La politique publique interministérielle de lutte contre la traite des êtres humains présentée par Roxana Maracineanu, secrétaire générale de la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof).

sg

                                                                                                                      Roxana Maracineanu


Geneviève Colas : Quelle sont les raisons d'être du plan national de lutte contre l'exploitation et la traite des êtres humains ?
Roxana Maracineanu : Depuis 2013 et la création de la Miprof, la France a travaillé une politique publique interministérielle de lutte contre la traite des êtres humains. Deux plans nationaux (2014-2016 puis 2019-2021) avaient, en ce sens, donné les orientations aux cours de la dernière décennie. La France a également pris des engagements devant les instances européennes et internationales pour mettre en œuvre une politique efficace de lutte contre l’exploitation et la traite des êtres humains, des phénomènes criminels qui explosent partout dans le monde, et notamment en France. Nous nous devions de répondre de manière ferme vis-à-vis des auteurs et humaniste vis-à-vis des victimes.

Ma priorité, lors de ma prise de fonction le 8 mars 2023 en tant que Secrétaire générale de la Miprof, a été de construire ce nouveau plan, attendu depuis près de deux ans, en tenant compte des évaluations très critiques de l’exécution du précédent pour réussir là où l’Etat avait buté auparavant.
J’ai donc initié un cycle d’ateliers de travail – une douzaine au total - en mettant la société civile, les associations, les ONG, les institutions indépendantes et les services de l’Etat concernés autour de la table pour bâtir notre stratégie en partant des besoins du terrain. Ce travail de fond a permis d’aboutir à un plan ambitieux mais aussi très concret qui répond aux attentes des acteurs de première ligne, notamment de rendre visibles et cibler les différentes formes de traite mais aussi de concentrer nos efforts sur la détection, l’accompagnement des victimes.

Nous avons désormais une feuille de route ambitieuse à déployer d’ici 2027 pour combattre l’exploitation et la traite des personnes à la racine.

G. C. : Quel en est l'esprit, quels en sont les points saillants ?
R. M. : D’abord en termes de méthode : dès la construction du plan, j’ai tenu à impliquer autant les administrations que les associations qui détectent et accompagnent les victimes à nos travaux.

Sans les associations qui œuvrent sur le terrain, l’action publique n’existe pas !

J’ai aussi eu, dès mon arrivée, la volonté claire de réfléchir à comment associer des victimes volontaires à l’exécution de notre feuille de route. C’est inédit et j’y tiens.

Les associations seront bien sûr parties prenantes de la réussite du plan.

Sur le fond ensuite, ma priorité fut de nous attaquer à chacune des formes de traite avec des mesures concrètes : l’exploitation sexuelle et par le travail mais aussi la contrainte à commettre des délits et la mendicité forcée, d’autant que ces phénomènes criminels impliquent très fréquemment des enfants victimes.

Parmi les mesures saillantes figure la création d’un observatoire national pour mieux connaître et mesurer les phénomènes de traite mais aussi mieux orienter la riposte face aux réseaux criminels, qu’ils soient français ou internationaux. Comme la Miprof l’a fait pour les violences faites aux femmes, cet observatoire permettra de rendre visibles l’ampleur comme l’évolution des phénomènes d’exploitation et de traite.

Nous allons lancer un programme massif de formations à l’attention des professionnels de première ligne, notamment les magistrats, les forces de sécurité, les soignants et les professionnels de l’enfance qui bénéficieront d’outils que la Miprof construira avec le Groupe d'Intérêt Public (GIP) France Enfance protégée. A moyen terme, notre objectif est d’élaborer un plan complet de formation comprenant un référentiel commun et une ingénierie de déploiement, à la fois en formation initiale et en formation continue.
Pour cela, nous nous appuierons bien sûr sur certains contenus et dispositifs qui existent déjà, et construirons les nouveaux outils avec les offices centraux de lutte contre les différentes formes de traite (OCRTEH et OCLTI), avec les partenaires sociaux et les inspecteurs du travail, et bien sûr avec les associations spécialisées.

Déjà annoncée dans le précédent plan, la création du Mécanisme national d’identification, d’orientation et de protection des victimes (MNIOP)est une priorité absolue du plan de lutte contre la traite des êtres humains. Nous avons débloqué un budget pour financer l’étude de faisabilité d’un outil numérique qui a vocation à être le support de ce mécanisme que je vois comme un fil d’ariane du parcours de la victime.
Parallèlement au développement d’un outil informatique qui prendra forcément du temps, ma priorité est d’aboutir au MNIOP en tant que protocole collaboratif entre tous les acteurs d’un territoire, au service de la détection précoce des victimes et de leur mise à l’abri. Notre mécanisme ne sera en effet une réussite que s’il permet aux victimes de bénéficier de droits et de protection supplémentaires, prenant en compte les besoins pluridisciplinaires de chaque victime.

J’ajouterais que l’accueil des Jeux olympiques et paralympiques va nous permettre d’accélérer fortement notre action en termes de formation, de sensibilisation mais aussi de moyens d’enquête avec le renforcement des effectifs notamment sur le volet cyber.

Car on peut hélas redouter le fait que cette grande fête attire aussi des réseaux criminels d’exploiteurs qui entendent tirer profit de l’afflux de visiteurs. Sur les 8 territoires disposant d’un site olympique, nous allons aussi, dès ce début d’année, proposer aux acteurs locaux (notamment ceux de la chaine policière et judiciaire) une formation flash sur les enjeux de repérage et de prise en charge des situations d’exploitation et de traite des êtres humains construite avec l’Ecole nationale de la Magistrature.

G. C. : Comment le plan va t-il être mis en oeuvre ?  
R. M. : Avant même de prendre mes fonctions, j’avais été alertée sur la faiblesse des moyens humains de la Miprof et la difficulté pour ma prédécesseure à conduire une action efficace. Je m’étais donc attelée, avec ma nomination, à défendre un renforcement des effectifs de la Mission. Le soutien de la Première ministre Elisabeth Borne a permis de doubler les effectifs de notre mission et de muscler le pôle traite des êtres humains de manière très conséquente pour assurer, à mes côtés, un pilotage serré de nos engagements.

Le travail préalable réalisé en amont de l’annonce du plan a permis de fixer des mesures et des objectifs à atteindre qui ont été présentés par le Gouvernement en décembre. Désormais, la Miprof s’attelle à la mise en œuvre de ces engagements en lien avec chacune des administrations et chacun des ministères concernés.
Je compte présenter notre méthode de travail au Comité de coordination de la Miprof d’ici quelques semaines et tiens à régulièrement rendre compte de l’avancée de nos travaux collectifs. Là aussi, j’ai tenu à ce que le plan lui-même intègre l’engagement de réaliser un suivi semestriel des mesures ainsi que la publication d’un bilan à mi-parcours (soit début 2025).

Pour réussir, on va devoir bouger les lignes et je suis prête, avec mon équipe, à déployer l’énergie et la force de conviction nécessaires pour ne pas décevoir.

G. C. : Comment voyez-vous votre rôle de secrétaire générale de la Miprof ?
R. M. : Je suis arrivée à la Miprof avec un bagage personnel : mon parcours de vie de réfugiée consciente des vulnérabilités, mes combats pour la place et l’émancipation des femmes, contre les violences sexistes et sexuelles et pour le respect de la dignité humaine.

Je suis aussi venue avec mon caractère forgé durant ma carrière de sportive de haut niveau : l’opiniâtreté et la détermination.

J’ai désormais, grâce à mon expérience d’élue régionale et celle de ministre, une connaissance fine de l’Etat et je compte bien mettre tous ces ingrédients au service de la réussite de la Mission et de celle du plan. Je peux désormais m’appuyer sur une équipe renforcée d’experts avec des profils riches et complémentaires issus de la société civile, des ministères de l’intérieur, de la justice et des ministères sociaux.

Et je sais que nous avons des partenaires associatifs comme publics très mobilisés pour faire avancer notre cause commune. On ne gagnera qu’en faisant équipe.