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Olivia

Tombée à 13 ans en esclavage domestique, Olivia a vécu neuf ans en France sans existence juridique. Maltraitée, torturée, elle a eu la force de surmonter d’effroyables épreuves avant de se reconstruire et de vouer sa vie à la lutte contre le fléau dont elle a été victime.

Dans son chaleureux appartement du 17e arrondissement de Paris, Olivia vit avec son mari et leur fils Matisse, 3 ans. Olivia va mieux que la semaine passée au Forum des images, lors de la présentation du court métrage #INVISIBLES. Ses jambes malades l’épuisaient. Elle avait quand même pris la parole et résumé en quelques mots ce qu’elle avait vécu. Aujourd’hui, assise sur le canapé noir de son salon, elle se propose de nous donner une version plus longue dans un français parfait.

Olivia est née à Lomé (Togo) en 1974, dans une famille nombreuse et aisée – le père officier de l’armée nationale a trois femmes et dix-sept enfants, Olivia est l’avant-dernière de toute la fratrie.

Enfant normale, elle a juste du mal à « aller à l’école, parce qu’on m’y battait, explique-t-elle. Et comme à cette époque-là l’école n’était pas obligatoire, je n’y allais pas. J’avais 12 ans quand une amie de la famille est venue voir mes parents. Elle disait qu’une compatriote vivant à Paris allait avoir un bébé et qu’elle recherchait une adolescente pour s’en occuper. Celle-ci serait payée et éduquée. Je croyais rêver. J’allais pouvoir aller en France et étudier, aller dans une école où on ne me battrait pas. J’étais heureuse.

Il faut deux ans avant que le voyage se fasse. Le père n’y est pas favorable. Il ne sait dire pourquoi. La mère le souhaite mais elle ne le verra pas se réaliser. Elle meurt quelques semaines avant. 

« Mes frères ont alors accéléré les démarches et je suis partie. »
 

Un cœur auprès duquel se réchauffer

Première fois qu’elle prend l’avion. On la confie à une femme qu’elle ne connaît pas, à qui on a déjà donné son passeport. 

« C’était un faux passeport, avec un autre nom et qui disait que j’avais 18 ans. »

Le voyage se passe bien, mais l’arrivée n’est pas telle qu’elle l’espérait. On lui avait fait miroiter une seconde mère, un cœur auprès duquel se réchauffer. La réalité est plus sèche. 

Je ne connaissais pas l’homme et la femme qui m’attendaient. Lui était français, elle togolaise. Un petit bout de femme, une boule de nerfs. Une de mes valises lui était destinée et elle ne la trouvait pas parmi les bagages. Elle a commencé à m’insulter en mina, la langue de chez moi, la seule que je connaissais, en disant que c’était ma faute.

Olivia est emmenée dans la maison du couple à Gennevilliers dans les Hauts-de-Seine. L’appartement a deux chambres. Olivia est installée dans la chambre du bébé. Elle est fatiguée du voyage, elle réalise que sa famille lui manque, elle veut dormir mais sa « nouvelle mère » lui désigne ce qu’elle aura à faire le lendemain matin tôt.

Pendant un an, elle est la première levée et la dernière couchée, elle est de toutes les corvées et essuie toutes les brimades. Le bébé du couple a un an. Olivia est obligée de le porter sur son dos. C’est là que l’enfant dort le mieux. Si elle tente de le coucher, il pleure. Et s'il pleure, sa mère déchaîne sa violence sur Olivia. Alors l’adolescente vit en permanence avec l’enfant accroché à elle. Et dort debout.

On me privait de tout, même de boire

Quand j’ai raconté à la police que je dormais debout, je voyais bien qu’ils ne me croyaient pas, dit-elle. Mais quand le mari a été interrogé, il a confirmé ce point. Ils ont bien été obligés de l’admettre. Je ne mangeais pas non plus à ma faim. Je pouvais passer trois ou quatre jours sans manger. On me privait de tout, même de boire. J’allais m’enfermer dans les toilettes pour boire.

Le dernier jour fut terrible, traumatisant. 

Il y avait dans le quartier cette fillette de mon âge, métissée, qui m’avait suivie auparavant pour savoir où j’habitais. Ce jour-là, elle a frappé à la porte et a inventé une histoire disant que nous avions convenu d’aller ensemble au cinéma. C’était évidemment faux mais une fois la jeune fille renvoyée, il a fallu que j’avoue ce qui n’était pas vrai. Elle a allumé les plaques électriques, a attendu qu’elles soient bien rouges et de force y a plaqué mes mains. Je voyais l’eau éclater sous ma peau.

À l'évocation de ces faits, une grosse larme, qu’Olivia n’a pas le temps de rattraper, roule sur sa joue. Mais elle veut continuer. 

C’était le dernier jour. Après les plaques électriques, elle m’a frappée, elle a déchiré les vêtements que je portais, elle m’a arraché une poignée de cheveux (qui n’ont plus jamais repoussé), elle m’a abîmé les jambes à coups de pied et perforé mes pieds avec ses talons aiguilles. Puis elle m’a jetée à la porte. Où aller ? Je ne connaissais personne, incapable de m’exprimer en français. Je pleurais, j’implorais, je demandais pardon. J’avais peur, froid, faim, je saignais de partout. Elle m’a menacée à travers la porte : “Si tu frappes encore une fois, je te tue, je te coupe en morceaux et je te mets dans une poubelle. Personne ne te retrouvera’’.

Après de longues heures d’errance et d’angoisse, Olivia trouve l’appartement de la petite fille qui voulait l’emmener au cinéma. 

« J’ai frappé. On a ouvert et je me suis effondrée. J’ai dormi chez eux presque deux jours d’affilée. La petite fille et sa famille m’ont cachée et soignée pendant plusieurs jours puis m’ont fait quitter le quartier. Si je suis en vie aujourd’hui, c’est grâce à eux. »

À ce stade de l’histoire d’Olivia, on pourrait penser qu’en France au début des années 1990, une telle situation ne pouvait pas durer. Il n’en est rien. Olivia n’a pas de papiers. Elle vit cachée. Elle est un fantôme, elle est invisible. Cette invisibilité autorise les saint-bernard d’hier à se transformer en loups. Olivia tombe sous la coupe de ceux qui l’ont sauvée. 

Mi-portugais, mi-afro-brésiliens, ces gens semblent vivre d’expédients, ne payent jamais leur loyer et déménagent souvent. Olivia n’est plus frappée ni affamée, mais les insultes continuent de pleuvoir et elle est la bonniche de tout le monde. « J’étais considérée comme une moins que rien. Tout le monde me donnait des ordres, même le plus petit des marmots. » Du moins met-elle à profit cette nouvelle épreuve pour apprendre le français et accessoirement le portugais.

Quand elle a 23 ans, Olivia et ses bourreaux habitent le Val-d’Oise. Sa petite copine métisse est devenue une adulte qui a trouvé un emploi de femme de ménage chez une famille bretonne. Plutôt que de faire elle-même le ménage, elle fait venir Olivia dans la maison où l’une lave, aspire, repasse, pendant que l’autre regarde la télévision allongée sur le canapé. Cela dure plusieurs mois jusqu’au jour où le couple se rend compte du manège.

La femme de ménage en titre demande à Olivia de ne plus revenir. Or, Olivia aimait travailler chez ces gens. Pour elle, c’était une récréation, une respiration. L’en priver et se trouver à nouveau enfermée est une régression. Alors le lendemain matin, Olivia va parler au couple d’employeurs et leur explique sa situation. « Au départ, je voulais qu’ils me trouvent un avocat pour obtenir des papiers, mais ces gens-là ont vite compris qu’ils étaient face à un cas d’esclavage domestique. Ils ont contacté le Comité contre l'esclavage moderne (CCEM). »

Olivia a aujourd’hui 42 ans. Le CCEM est toujours à ses côtés et Olivia tient à être présente lorsque arrivent de nouveaux cas « pour montrer qu’on peut se reconstruire, qu’on peut avancer. » Le Comité a permis à Olivia de suivre des cours d’alphabétisation. Elle a pu travailler pendant six ans dans un magasin de cosmétiques.

Mais la santé d’Olivia a commencé à décliner. De graves problèmes aux jambes, consécutifs à son année de torture, sont apparus. Elle a failli être amputée. En partie remise, elle a suivi plusieurs formations, dont l’une en photographie qui lui a fait faire la connaissance de l’artiste photographe Raphaël Dallaporta auprès duquel elle a fait un stage.

Elle a obtenu aussi un certificat de compétences parentales qui lui ouvre la possibilité de devenir famille d’accueil. Mais son but ultime est de rentrer un jour au Togo pour y fonder une association de lutte contre l’esclavage moderne et y sensibiliser l’opinion. Car, conclut-elle, « les racines de l’esclavage se trouvent là-bas, au Togo, et partout ailleurs en Afrique. »

Au terme de dix ans de procédure, l'exploiteuse d'Olivia a été condamnée à huit ans de prison ferme par la cour d'assises de Versailles.