Entretien avec MARIA GRAZIA GIAMMARINARO, rapporteure spéciale auprès des Nations Unies
À cette occasion, le Secours Catholique organise à l'ONU, en partenariat avec Caritas Internationalis ainsi que l'auteure du rapport, Maria Grazia Giammarinaro, un échange sur les phénomènes de traite et d'exploitation sexuelle, en particulier chez les enfants, dans des contextes de guerre et de crise humanitaire.
Il est indispensable de faire un travail de prévention et de dissuasion
Comment avez-vous établi le lien entre conflits et traite des êtres humains ?
C’est la guerre en Syrie qui m’a donné l’occasion d’établir ce lien et d’en faire un rapport que j’ai présenté, fin 2016, devant le Conseil des droits de l’homme des Nations unies. Pour en arriver là, j’ai travaillé avec de nombreuses ONG, notamment avec les Caritas et les agences des Nations unies.
Le conflit syrien a permis de nous rendre compte pour la première fois que ce phénomène de traite se développe quand il y a un conflit. Les rapports de l’Unicef, qui ne portent pas forcément sur ce sujet, montrent clairement qu’en Europe ce phénomène s’est accru à la suite de la guerre en Syrie.
Le rapport que j’ai présenté a le mérite de rassembler un nombre d’informations jusqu’ici dispersées. Toutes ces informations attestent de ce lien. Notamment le problème du travail des enfants au Moyen-Orient. La plupart d’entre eux sont des enfants de réfugiés dont le salaire est la principale ressource de la famille.
Le conflit syrien a permis de nous rendre compte pour la première fois que ce phénomène de traite se développe quand il y a un conflit.
Même chose avec les mariages arrangés. J’ai pu vérifier en Jordanie que des familles tentent de protéger leurs filles en les mariant. Mais c’est une façon de livrer leurs filles à l’exploitation sexuelle. Des hommes venus des pays du Golfe viennent chercher des épouses chez les réfugiés. C’est pourquoi, en Jordanie comme ailleurs, il est indispensable de faire un travail de prévention et de dissuasion dans les camps de réfugiés.
La traite est un phénomène caché. Comment êtes-vous arrivée à le mesurer?
Il est très difficile d’établir les dimensions de la traite et de l’exploitation humaine. Pour se rendre compte de l’ampleur du phénomène, l’Organisation Internationale sur les Migrations a élaboré un formulaire de questions très précises qui ont été posées aux réfugiés.
En répondant oui à une ou plusieurs questions, le réfugié a admis avoir été confronté à la traite pendant son exil. Le pourcentage de réponses positives à ces questions a été très important. Cela ne donne pas de statistiques mais une idée du risque encouru, qui est très élevé.
Peut-on blâmer les pays d’accueil des réfugiés pour ce phénomène d’exploitation humaine ?
La plupart des réfugiés vivent intégrés dans la société des pays voisins qui les accueillent. C’est difficile pour les réfugiés comme pour les pays d’accueil. J’apprécie la manière généreuse avec laquelle la Jordanie accueille les réfugiés. Parfois, les réfugiés acceptent de travailler juste pour pouvoir dormir sous un toit, même sans salaire.
Quelles sont les parties du monde les plus exposées à ce phénomène de traite ?
Il y a toujours la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis. Entre 2015 et 2016, les chiffres dont nous disposons montrent que 100 000 enfants ont été détenus à la frontière. Ce genre de détention est aussi très répandu ailleurs. En Europe, la pratique de la détention administrative des enfants est courante. Cela doit vraiment s’arrêter.
Comment votre rapport peut-il être suivi d’effets ?
En présentant le fruit de mes recherches au Conseil des droits de l’homme des Nations unies, j’adresse aux pays membres des recommandations. J’insiste sur la prévention à mettre en place. J’insiste aussi sur l’importance d’accroitre l’immigration régulière, car les politiques restrictives d’immigration sont un facteur de vulnérabilité sociale et favorisent l’exploitation et la traite.
Il faut un personnel qualifié capable de détecter les situations de vulnérabilité et les situations à risque des personnes migrantes.
Je recommande également d’établir des procédures innovantes aux frontières pour identifier les situations de traite. Pour cela, il faut un personnel qualifié capable de détecter les situations de vulnérabilité et les situations à risque des personnes migrantes.
Ce sont donc aux Etats de mettre en place des mécanismes de détection de la traite ?
Oui, car ces situations sont liées à la politique migratoire de chaque pays. Chaque pays doit pouvoir apprécier la situation de tout migrant : vérifier si tel migrant est libre ou si son histoire est conditionnée par un exploiteur. Ces mécanismes doivent être mis en place par les Etats en lien avec les associations et les organisations internationales. Le migrant doit être assuré que les indications qu’il va fournir ne le mettront pas en danger.
Là où ces procédures ont été mises en place, elles ont été efficaces parce que les ONG et les organisations internationales ont de l’expérience et sont capables de donner aux autorités compétentes les moyens d’identifier les victimes d’exploitation et ceux qui risquent de le devenir.