Après plusieurs mois de débats houleux et de recul des Etats membres, la directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises a enfin été adoptée mercredi 24 avril 2024. L’objectif de cette directive est d'appliquer une même législation aux 27 Etats membres de l'Union européenne, contraignant ainsi les acteurs économiques à respecter les droits humains et des conditions dignes de travail dans l’ensemble de leurs chaînes de sous-traitance.
Le texte concerne aussi bien les entreprises européennes que les entreprises étrangères (hors UE) qui ont des antennes en Europe, donc le champ d'application est assez vaste.
Pour les victimes de traite par le travail, cette loi offrira dans certains cas un recours judiciaire face à l’entreprise donneuse d’ordre en cas de situation d’exploitation chez un sous-traitant par exemple."
Par ailleurs, cette législation peut prévenir de nombreux cas de traite en incitant les entreprises donneuses d’ordre à contrôler les conditions de travail chez leurs sous-traitants et en privilégiant les partenariats commerciaux garantissant le respect de cette législation.
Qu’est-ce que le devoir de vigilance ?
Il consiste à créer une obligation juridique pour contraindre les entreprises à respecter les droits humains au sens large dans leurs activités, y compris au sein de leur chaine de sous-traitance.
Concernant la traite des êtres humains, ce qui est particulièrement intéressant, c’est que les entreprises donneuses d’ordre françaises ou européennes deviennent responsables des faits d’exploitation par le travail qui se passeront dans leurs chaines de sous-traitance en Europe ou à l’étranger.
Pourquoi une directive au niveau Européen ?
Depuis l’effondrement de l'usine textile Rana Plaza au Bangladesh, en 2013, une prise de conscience mondiale de l'exploitation des travailleurs dans certains secteurs économiques, a donné lieu à différentes initiatives pour responsabiliser les sociétés mères vis-à-vis des agissements de leurs filiales et sous traitants. Notamment en 2016, la France s’est elle-même dotée d’une législation sur le devoir de vigilance des sociétés mères envers leurs filiales, notamment à l’étranger. Mais celle-ci ne s’applique qu’aux entreprises de plus de 5000 salariés sur le territoire français, et plus de 10 000 à l’international. Au final, elle ne concerne qu’une petite minorité d’entreprises.
Seulement, les cas de traite par le travail ne se déroulent pas seulement dans les grandes entreprises et de nombreuses victimes ne peuvent invoquer cette législation pour s’extraire de leur situation d’exploitation.
En février 2022, une directive Européenne sur le devoir des entreprises a été introduite par la Commission Européenne. Elle s’inscrit dans la transition écologique des états membres et du respect des droits humains au sein des activités économiques.
L’intérêt de cette loi est de faire appliquer la même législation au 27 états membres. Leurs entreprises devront ainsi veiller au respect des termes de cette loi par leurs sous-traitants, qu’ils soient européens ou internationaux.
Une avancée législative vers le respect des droits humains au travail
Des accords ont été trouvé sur certains points. Ils représentent une avancée considérable qui va dans le sens du respect des droits humains au travail.
- Toutes les entreprises de plus de 1000 employés et de plus de 450 millions € de chiffre d’affaire sont concernés par cette loi.
Ce seuil est donc nettement plus bas que celui de la loi française et englobe beaucoup plus d’entreprises. - En cas de non-respect de la législation, les amendes peuvent aller jusqu’à 5% du Chiffre d’affaire global.
Ce pourcentage est bien plus important que celui prévu par la loi française et semble beaucoup plus dissuasif.
Reste à savoir si les relations de sous-traitance indirectes seront intégrées ou non à cette législation. Cela semble tout à fait pertinent pour lutter contre la traite mais ce point n’est pas encore éclairci à ce jour.
Convaincre les entreprises des intérêts de cette règlementation
Face à la concurrence internationale et les contraintes économiques actuelles, les entreprises peuvent exprimer des réticences vis-à-vis de la création de nouvelles obligations règlementaires, comme c'est déjà le cas avec la Responsabilité Sociale et Envirennementale des entreprises et le reporting extra-financier (directive européenne CSRD entrée en vigueur en janvier 2024).
Seulement, dans les faits, le devoir de vigilance peut être vu comme une opportunité, y compris d’une point de vue économique. En terme d’image et d'avantage compétitif, la mise en place de pratiques vertueuses garantissant le respect des droits humains répond aux attentes de nombreux consommateurs d’aujourd’hui. L'union européenne discute en ce sens d'autres législations qui interdiraient l'accès au marché européen de biens et services produits par des victimes de travail forcé et doivent étendre la lutte contre la traite des êtres humains.
Par ailleurs, les sous-traitants, qui sont dépendants des donneurs d’ordre, devront également garantir le respect des droits humains et des conditions dignes de travail pour conserver leurs relations commerciales avec leurs apporteurs d’affaires.
Il est donc possible, à l’intérieur de ce cadre législatif, de développer des relations commerciales à l’internationale plus vertueuses, au sein desquelles chacun trouve son intérêt : les donneurs d’ordres, les sous-traitants et les employés.
Il restera à vérifier que cette règlementation européenne soit transposée au niveau des Etats membres et que son application soit effective.
Du point de vue du Collectif, l’idéal à l’avenir serait que les dispositions de cette loi concerne la totalité des entreprises et de leur chaine de sous-traitance afin qu’elle devienne un recours pour l’ensemble des victimes de traite par le travail.
Le Comité Protestant évangélique pour la Dignité Humaine - CPDH
Le CPDH a pour objet de promouvoir le respect de la dignité humaine, la défense et la protection des droits de l’enfant, de la femme et de l’homme d’une manière générale.
C’est ce respect pour la dignité humaine qui conduit l'association à s’engager d’une part dans le plaidoyer contre la traite des êtres humains au sein de collectifs comme «Ensemble contre la traite», notamment sur la pornographie, la prostitution, la Gestation par Autrui et le devoir de vigilance des entreprises.
D’autre part, le Comité sensibilise le grand public aux situations d’exploitation dans les écoles et les communautés, à travers la création d’un Dimanche contre la traite et de la Marche pour la Liberté.
Le Comité Contre l’Esclavage Moderne- CCEM
Depuis 1994, le CCEM dénonce toutes les formes d’esclavage contemporain partout dans le monde.
Il assure un accompagnement social et juridique des victimes de travail esclave, et de traite des êtres humains à des fins d'exploitation par le travail.
Fort de cette expertise, le CCEM forme et sensibilise les professionnels et le grand public et participe aux instances nationales et européennes pour améliorer les pratiques et la mise en application des lois et des politiques contre la traite.
En 29 ans, le CCEM a accompagné plus de 1000 victimes au niveau national dans plus de 450 procès.
Le CCEM est membre du Collectif "Ensemble contre la Traite des êtres humains".
Article rédigé en collaboration avec Coralie Diebold, chargée de plaidoyer au CPDH (Comité Protestant évangélique pour la Dignité Humaine) et Mona Chamass, directrice du CCEM (Comité Contre l'Esclavage moderne).