Face à la recrudescence de l’exploitation sexuelle sur internet, l’Amicale du Nid a développé l’aller-vers numérique. Il consiste à rencontrer les victimes sur les sites ou réseaux sociaux sur lesquels elles sont présentes afin de créer un premier lien de confiance avec elles.
En 2015, l’étude Prostcost indique que 62% de la prostitution se faisait via Internet. Ce phénomène n’a cessé d’augmenter depuis, accentué par la pandémie de la Covid 19. Encore plus isolée qu’en rue, les victimes manquent cruellement d’information sur leurs droits, et sont maintenues dans l’ignorance par les proxénètes et les réseaux pour qu'ils gardent une emprise sur elles.
Craignant d’être inculpées par la police en raison de leur situation irrégulière ou leur activité de prostitution, elles sont très rares à porter plainte ou à chercher du secours auprès des associations malgré le fait que le droit les protège en tant que victimes d’exploitation sexuelle.
Pour cette raison, l’aller-vers numérique est essentiel.
Créer un lien de confiance avec des publics isolés
L’aller vers est une démarche qui se situe en amont de toute intervention sociale dite classique (accueil, évaluation et expression des besoins, orientation, accompagnement…).
Il consiste à aller à la rencontre des publics isolés en situation d’exploitation afin :
- De faire connaitre l’association et l’accompagnement qu’elle propose
- D’être identifié comme une ressource de confiance par les victimes
- D’informer les personnes sur la réalité de leurs droits afin de contrer la propagande des réseaux et de compenser leur manque d’information
- De se rendre disponible en cas de besoin
Il s’agit donc, par une présence régulière, de créer un lien de confiance avec les personnes, afin qu’elles puissent se tourner vers l’association en cas de besoin.
En raison de l’exploitation et parfois des violences subies, un des premiers besoins exprimés par les victimes concernent des soins de santé et / ou psychologiques. Pour les professionnels de l’association, il s’agit d’être réactif dans leur réponse afin d’être perçu comme des interlocuteurs fiables.
Initier la relation à distance
Contrairement au travail de rue, l’ "aller vers" numérique ne se déroule pas en présentiel dans l’espace public, mais sur les espaces numériques où se déroulent la mise en relation des clients avec les victimes (réseaux sociaux, site d’escorting…). Les professionnels de l’association utilisent les coordonnées mentionnées dans les annonces pour entrer en relation directe avec les personnes.
Seuls des messages réguliers permettent d’être identifié et reconnu comme un acteur de confiance, à condition :
- De veiller à contacter les personnes sur des temps où elles sont disponibles
- De s’exprimer dans la langue qu’elles utilisent si elle peut être identifiée
- De présenter clairement l’association et ce qu’elle propose comme accompagnement
Une fois que la relation à distance est établie, elle peut déboucher sur une rencontre physique si la personne désire faire connaissance et en savoir plus sur l’accompagnement proposé. Souvent, dans un premier temps, celle-ci se fait dans un espace public avant d’envisager une rencontre dans les locaux de l’association.
En effet, symboliquement, franchir la porte de l’association signifie que la personne se reconnait victime d’exploitation sexuelle et qu’elle a besoin d’aide. Cela demande une prise de conscience en amont avant de faire ce pas. Le processus d’émancipation du système prostitutionnel est très long.
Une législation qui doit prendre en compte l’achat d’acte sexuel à distance
La loi française mentionne que l’achat d’un acte sexuel nécessite un contact physique entre l’acheteur et la victime. Or, le développement de la traite sur Internet a donné lieu à d’autres formes d’exploitation sexuelle. En effet, des acheteurs peuvent désormais commanditer un viol à distance en direct, sur une personne majeure ou mineur.
La loi doit s’adapter à ce phénomène et condamner de la même façon l’achat d’acte sexuel « en présentiel » ou à distance.
L’Amicale du Nid
L’Amicale du Nid (AdN) est une association qui compte 75 ans d’engagement auprès des personnes en situation de prostitution, victimes du système prostitutionnel, du proxénétisme et de la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle pour un accompagnement vers la sortie. C’est une association laïque, indépendante de toute organisation ou parti. Ses principes sont l’égalité entre les femmes et les hommes, la non-patrimonialité du corps humain qui ne peut être considéré comme un bien ou une marchandise, la dignité de la personne humaine visant à garantir son intégrité physique et psychologique contre toute atteinte extérieur.
L’association est présente sur 15 départements et compte plus de 200 professionnel.les qualifié.es et régulièrement formé.es. Elle inscrit son action dans un continuum au service de la prévention et de la lutte contre le système prostitutionnel :
Le plaidoyer ;
action spécifique d’aide aux victimes d’infractions pénales : accompagnement juridique dédié, constitution de partie civile, chiffrage des préjudices
La prévention, la sensibilisation, la formation (l’AdN est organisme de formation), des diagnostics territoriaux, des recherches-actions, des missions mineur.es sur 5 départements : 1 500 professionnel.les sensibilisé.es et formé.es et 400 jeunes rencontré.es en intervention de prévention par an ;
L’aller-vers : 3 300 personnes rencontrées dans l’espace public, 1 700 sur Internet ;
L’accompagnement social global personnalisé : 4 500 personnes accueillies, 1 400 accompagnées ;
L’hébergement et le logement accompagné avec plus de 480 places : plus de 1 300 personnes hébergées ou logées par an (dont plus d’1/3 d’enfants).
L’adaptation à la vie active avec deux ateliers d’adaptation à la vie active (AAVA) comptant 38 places avec près de 90 stagiaires par an.
Article écrit en collaboration avec Delphine Jarraud, Déléguée Générale Amicale du Nid.