Coordination : Geneviève Colas - genevieve.colas@secours-catholique.org - 06 71 00 69 90

Les mécanismes de la traite dans les bidonvilles

Ces dernières années,l’association Trajectoires s’est engagée à venir en appui aux acteurs intervenant dans les bidonvilles pour lutter contre toutes les formes d'exploitation et de traite des êtres humains auxquels sont exposés leurs habitants.


Un terreau favorable à différentes formes d’exploitation et la traite des êtres humains

Les bidonvilles concernent ici essentiellement des personnes d’Europe de l’Est venues principalement de Roumanie et de Bulgarie. En tant que citoyen de l’UE, ils peuvent circuler, s’installer et travailler sans engager de démarches administratives. Malgré cette situation favorable, à la différence de la majorité des autres pays de l’UE, ils n’arrivent pas à accéder au logement et sont contraints de s’installer sur des terrains vagues, des squats dans des conditions sanitaires dégradées.

Dans ce contexte, un système ressemblant aux marchands de sommeil s’est structuré. L’accès aux bidonvilles est encadré par des personnes appelées chef de Platz. Ils profitent de cette situation, l’absence d’accès au logement, pour monnayer tout un ensemble de services (droit d’entrée, logement, électricité, accès à l’alimentation, accès au travail…) auprès de ces familles précaires qui n’ont nul autre endroit où aller, et qui deviennent totalement dépendantes d’eux.

A l’intérieur de ce système parallèle, les risques d’exploitation et de traite sont extrêmement importants.

Les bidonvilles sont souvent organisés en communauté villageoise. Les habitants proviennent en général de la même zone rurale. Le sentiment d’appartenance au groupe est fort, ce qui renforce l’isolement social des personnes et la dépendance aux « chef de platz originaires des mêmes locatlités.

Les habitants des bidonvilles ont souvent très peu de ressources et ne possèdent aucun moyen de défense ou recours pour échapper à l’emprise des "chefs de platz."

A Nantes, à Bordeaux, pour accéder à un travail, notamment dans le secteur agricole, les habitants doivent passer par des intermédiaires qui vont prélever une partie de leur salaire et / ou monnayer le transport. C’est ainsi que l’on bascule dans l’exploitation économique.

L’exploitation sexuelle est aussi un risque pour des personnes dépendantes de leurs exploiteurs.

D’autres formes moins identifiées par les acteurs sont très présentes comme les grossesses et unions précoces qui résultent d’un mariage forcé dont l’épouse à entre 12 et 15 ans. L’absence de consentement pour des relations sexuelles, comme le précise la loi Billon de 2021, l’obligation qui lui est faite de pallier les tâches ménagères de sa belle-famille cumulées à d’autres formes d'exploitation comme la mendicité forcée en font des victimes polyexploitées pour lesquelles le repérage demeure largement défaillant.

bidonville

Favoriser le repérage des situations de traite

Pour lutter contre ces formes de traite, il est essentiel d’améliorer le repérage des situations d’exploitation. Cela nécessite d’accompagner et de former l’ensemble des acteurs de première ligne sur le terrain (associations, institutions publiques, Protection Maternelle Infantile, Aide Sociale à l’Enfance) mais aussi de seconde ligne (magistrats, juges pour enfants, autorités judiciaires) afin de leur donner les indicateurs leur permettant d’identifier les cas de traite.

En effet, dans ce contexte, la parole des victimes est contrôlée et il est difficile d’y avoir accès. Il s’agit donc de caractériser les situations d’exploitation par des indicateurs.

Ensuite, il est fondamental d’œuvrer en priorité pour la protection des victimes en outillant les acteurs de terrain dans la connaissance des dispositifs de protection existants.

Protéger les victimes de traite et les accompagner dans le cadre de la justice

Aujourd’hui les situations de traite dans les bidonvilles donnent rarement lieu à des enquêtes pénales.

Pour protéger les victimes, il est souvent nécessaires de passer directement par les magistrats, l’inspection du travail ou les services publics.

En effet, un juge pour enfant peut être saisi en cas de mariage forcé ou de grossesse précoce. Les inspecteurs du travail peuvent diligenter des contrôles en cas de situation abusive. Certains services publics comme la DDETS permettent de trouver un logement à des personnes endettées, ce qui peut répondre au besoin d’éloignement et de protection de certaines victimes d’exploitation économique ou sexuelle…

Et une fois protégées, les personnes peuvent alors porter plainte et s’engager dans une procédure judiciaire.

Aujourd’hui en France, la politique de résorption des bidonvilles a pris conscience que l’organisation criminelle de ces zones de non-droit était un frein pour y mettre un terme. Le travail social classique est entravé par ces phénomènes de traite car les « chefs de platz » ont intérêt à ce que les bidonvilles perdurent pour préserver leurs profits.

Les enjeux sont donc aujourd’hui plus clairs, ce qui laisse espérer une action politique plus pertinente pour mettre fin à ces phénomènes de traite dans les bidonvilles.

 

Article écrit en collaboration avec Olivier Peyroux, sociologue spécialisé sur le phénomène de la traite des êtres humains, des mineurs en particulier. Chercheur et engagé sur le terrain, il est l’auteur de plusieurs publications sur le sujet.