Ce mercredi 29 juin 2022, la cour d’appel de Reims a rendu son délibéré sur une affaire de traite des êtres humains à des fins d’exploitation par le travail. Les faits remontent à l’été 2018, à l’occasion des vendanges en Champagne. Près de 200 vendangeurs avaient été découverts dans des conditions de travail et d’hébergement contraires à la dignité humaine.
Les accusés sont les fondateurs d'une société de prestation viticole. Ils étaient sous-traitants des grandes maisons de Champagne pour assurer les vendanges. Ils exploitaient des réfugiés Afghans provenant notamment de la région parisienne et munis de titre de séjour et des personnes de nationalité d’Afrique Subsaharienne provenant d’Espagne et sans titre de séjour en France.
Les victimes travaillaient du lever au coucher du soleil, manquant d’eau et de nourriture et sans rémunération. Elles étaient logées dans des hébergements particulièrement insalubres achetés juste avant les vendanges par la société viticole.
Les auteurs de l'exploitation sont d’anciens demandeurs d’asile d’origine srilankaise. Ils avaient travaillé plusieurs saisons en tant que vendangeurs en Champagne. Ils connaissaient donc bien ce milieu et les vulnérabilités du public qu’ils ont exploité. C’est ainsi qu’ils ont pu monter leur entreprise de prestations viticoles et utiliser les situations précaires des victimes pour les recruter, exercer leur emprise et les exploiter.
Un système de traite mis à jour grâce à l’intervention d’une victime
La situation d’exploitation a donné lieu à une enquête grâce à Sefatullah, un des travailleurs qui, contrairement aux autres victimes, avait des connaissances en droit français et maitrisait la langue. Sur les conseils de son assistante sociale, il a insisté auprès de la gérante pour obtenir un contrat de travail. Devant son refus, il a alerté la gendarmerie. Celle-ci s’est déplacée sur place et a ouvert une enquête au vu des constations sur les conditions particulièrement insalubres d’hébergement des travailleurs.
Les investigations ont été menées par la gendarmerie locale en cosaisie avec l’Office Central de Lutte contre la Travail Illégal (OCLTI), et avec l'appui de l’inspection du travail. Ces différents acteurs ont travaillé ensemble pour effectuer les contrôles, auditionner l'ensemble des victimes et recueillir les preuves d’exploitation.
Au final, la cour d’appel de Reims a confirmé la décision de première instance condamnant les gérants de la société viticole pour traite des êtres humains à 3 ans de prison fermes dont un avec sursis. Les 3 victimes accompagnées par le CCEM, dont Sefatullah, se sont vus allouer une indemnité de 3000 € pour dommages et intérêts. De plus, le CCEM qui s’était constitué partie civile au côté des victimes a obtenu 1 € symbolique de dommages et intérêts comme sollicité.
Une coopération exemplaire tout au long de l’enquête
Dans cette affaire, la collaboration entre l’OCLTI, l’inspection du travail et les enquêteurs locaux a été exemplaire. Elle a permis de mettre à jour toutes les facettes de ce système de traite et d’y mettre un terme.
Le travail d’information et d’orientation des victimes vers le CCEM effectué par les enquêteurs a également joué un rôle important dans le procès. Cela a permis aux victimes de participer aux audiences et d’être représentées par des avocats, permettant aux magistrats de mieux comprendre et mesurer les faits d’exploitation et les préjudices subis.
Dans les affaires de traite des êtres humains, la parole des victimes est essentielle pour connaître la réalité vécue par les personnes exploitées.
Le devoir de vigilance des maisons de Champagne
Lors du procès, la responsabilité des maisons de Champagne a été évoquée sans que finalement aucune condamnation n’intervienne. En effet, les maisons de Champagne indiquaient n’être pas informées de la sous-traitance en cascade organisée par les sociétés de prestations viticoles et ne pas connaitre la réalité des faits d’exploitation qui se cachaient derrière ce système. L’enquête n’a pas réussi à démontrer l’inverse. Seulement, les prix extrêmement bas pratiqués par ces sous-traitants auraient dû alerter les commanditaires.
En effet, le tarif des vendanges dépendant essentiellement du coût humain et de l’hébergement des travailleurs, ces propositions bien en deçà du coût habituel du marché auraient dû éveiller la vigilance des acheteurs.
Le devenir des victimes
Sur l’ensemble des victimes, seule une partie a été orientée vers des associations pour bénéficier d’un accompagnement et 3 ont été suivies par le CCEM.
Certaines d’entre-elles avaient déjà un hébergement et un titre de séjour, elles avaient donc essentiellement besoin d’un soutien et d’un suivi juridique. Celles-ci sont aujourd’hui autonomes et ont retrouvé un emploi.
Seulement, une grande partie des victimes est repartie en Espagne ou ailleurs, sans avoir bénéficié d’un suivi spécifique. Leur situation reste inconnue à ce jour.
Le Comité Contre l’Esclavage Moderne- CCEM
Depuis 1994, le CCEM dénonce toutes les formes d’esclavage contemporain partout dans le monde.
Il assure un accompagnement social et juridique des victimes de travail esclave, et de traite à des fins économiques.
Fort de cette expertise, le CCEM forme et sensibilise les professionnels et le grand public et participe aux instances nationales et européennes pour améliorer les pratiques et la mise en application des lois et des politiques contre la traite.
En 28 ans, le CCEM a accompagné plus de 1000 victimes au niveau national.
Le CCEM est membre du Collectif "Ensemble contre la Traite des êtres humains".
Article écrit en collaboration avec Annabel CANZIAN, Coordinatrice du service juridique au Comité Contre l'Esclavage Moderne