En 2022, le Secours Catholique, avec d'autres partenaires associatifs, Emmaus France, UFC Que choisir, l'APF France handicap, Familles rurales et la Confédération syndicale des familles, a rédigé un manifeste pour une inclusion financière universelle afin de favoriser l'accès aux moyens de paiement et services bancaires. Par la suite, des webinaires regroupent des associations qui approfondissent certaines questions : l'accès au compte bancaire pour tous, les mineurs et l'inclusion financière...
En janvier 2023, le Secours Catholique a rencontré Charlotte Caubel secrétaire d'Etat auprès de la Première ministre, chargée de l'enfance pour échanger sur les constats des associations concernant l'inclusion bancaire des enfants et jeunes et les pistes d'améliorations.
La question de l'accès aux moyens de paiement et services bancaires concernant les enfants (mineurs accueillis par l'Aide sociale à l'enfance, mineurs non accompagnés, mineurs victimes d’exploitation ou de traite, de violences ...) est problématique dans un certain nombre de cas.
Pour les enfants à risque et les enfants victimes de traite cela peut être un obstacle à l'insertion et une difficulté pour faire reconnaître les conséquences qu'a eue l'exploitation sur leur personne.
Il est nécessaire d’avoir un compte bancaire lorsqu’à plus de 16 ans on recherche une formation en alternance, un stage ou un travail. Cela peut s’avérer très difficile pour un enfant étranger, un mineur non accompagné ou isolé, ou un jeune relevant de l’aide sociale à l’enfance. Ces mineurs rencontrent régulièrement des difficultés liées à l’absence de document officiel permettant de les identifier, entrainant des blocages dans l’ouverture de comptes en banque.
Par ailleurs, lorsque des enfants (parfois des bébés) victimes d’exploitation, de traite, de violence… doivent recevoir des compensations suite à une action en justice, elles sont souvent difficiles à obtenir. Mais lorsque des enfants les obtiennent, certaines banques font toutes les difficultés possibles pour ne pas ouvrir un compte bancaire nécessaire pour placer l’argent qui ne pourra pas être utilisé jusqu’aux 18 ans de l’enfant sauf décision du juge, sur proposition de l’administrateur ad hoc, par exemple.
Certaines banques, après avoir ouvert un compte le referment sous le prétexte qu’elles n’ont pas obtenu des papiers qui ne sont en principe pas nécessaires (adresse des parents d’un enfant alors qu’un administrateur ad hoc a été nommé dans une procédure où les parents sont directement concernés par la procédure pénale…).
Les associations se retrouvent au quotidien face à des difficultés dans l’accompagnement de mineurs non accompagnés, de mineurs isolés français, voire de familles avec enfants sur ces questions financières comme d’autres.
Le compte en banque c’est un élément important pour avoir accès à la santé, à un stage rémunéré. C’est une voie essentielle à l’intégration. Le compte est indispensable pour vivre sa citoyenneté. Le fait de ne pas pouvoir, dans les faits, obtenir réparation suite à une procédure de justice est aussi une atteinte aux droits des enfants concernés.
1 / Des jeunes rencontrent des difficultés pour l’ouverture d'un compte en banque
Le compte bancaire est pourtant un préalable à l’accès à de nombreux droits
- pour avoir accès à une formation en alternance ou un stage lorsqu'on est mineur,
- pour recevoir une bourse scolaire
- pour verser des dommages et intérêts suite à un jugement en faveur d'un enfant victime (il s’agit parfois de bébés),
- pour obtenir une carte vitale ou des remboursements médicaux (pas considérée comme vitale « car la CMU existe en France » répondent des banques)
Parfois il y a un abus de banques dans la demande de pièces pour ouvrir un compte.
Par ailleurs, contre le blanchissement et le risque de paiement du terrorisme et parce que la banque est libre d’une relation contractuelle, ouvrir des comptes pour les mineurs intéresse de moins en moins les banques.
Des jeunes, faute de formation, rencontrent des difficultés pour être prêts à gérer un budget à la majorité. Il faut outiller les enfants pendant leur minorité.
Exemples :
Les bénévoles, les travailleurs sociaux, rencontrent des blocages pour l’ouverture de comptes bancaires pour des mineurs.
« Pour des jeunes en contrat d’apprentissage mineurs ou des jeunes majeurs, l’accès au compte bancaire est une vraie difficulté, car cela impacte d’autres droits, tel le fait de ne pas avoir accès au fruit de leur travail. Parfois, le lieu d’accueil du mineur doit conserver des chèques pendant 6 mois et pendant ce temps-là le jeune ne peut pas avoir accès à l’argent qu’il a gagné. Dans d’autres cas les jeunes reçoivent de l’argent liquide (risquant des scènes de violence, racket…si ils le gardent sur eux). Certains lieux d’accueil de mineurs se retrouvent dans l’illégalité car ne sont pas les représentants légaux mais, par exemple, ne peuvent laisser les 130 jeunes qu’ils accompagnent avec des sommes en espèces ce qui peut constituer des sommes importantes dans des lieux peu sécurisés. »
« Des jeunes devraient recevoir une allocation jeune majeur (680 euros par mois). Mais rencontrent des problèmes administratifs à cause de leurs papiers. Ne pas recevoir l’allocation ne permet pas à ces jeunes de vivre en autonomie. Ne recevant pas d'allocation ils se retrouvent logés en Centre d'Hébergement et de Réadaptation Sociale avec 30 euros par semaine pour manger. »
« Parfois on trouve des solutions avec des établissements bancaires… puis après avoir ouvert quelques comptes ils ne veulent plus car ils estiment que ce n’est pas rentable, cela prend du temps à des conseillers qui ne sont pas formés sur le sujet... Ils ferment le compte en disant que c’est leur service chargé de la « sécurité » qui leur a demandé, prétextant des manques de documents ou autre ».
« Un gros problème rencontré pour les mineurs non accompagnés est la pièce d’identité. La carte d’identité consulaire ne passe pas dans certaines banques. Les départements devraient systématiquement faire réaliser des documents d’identité pour les jeunes confiés dans leur département… mais se pose aussi le problème des mineurs en attente de l’évaluation de leur âge ou déclarés majeurs après cette évaluation et qui sont seulement pris en charge par des associations. »
« Des jeunes peuvent avoir accès au droit au compte… mais avec le livret A ils ne peuvent pas envoyer d’argent dans un autre pays et ne disposent pas de l’argent comme ils le souhaitent. Sans carte bancaire ils ne peuvent faire des achats sur internet… ou bien payent des intermédiaires qui profitent d’eux en prenant une grosse marge. »
« Des jeunes ne sont pas reconnus mineurs et ne sont pas pris en charge. Ils ne peuvent effectuer de stage rémunéré. Ainsi on pousse parfois vers l’exploitation des jeunes à cause d’un blocage administratif. »
« Côté bonne pratique on notera que dans certains lieux d’accompagnements le jeune a son compte bancaire à son nom jusqu’à sa majorité (compte anytime de orange bank par exemple). Cela permet qu’à partir d’un certain âge -12 ans- le jeune ait à sa disposition de quoi se vêtir, se nourrir, les produits d’hygiène. L’éducateur en fait un outil éducatif. Et surtout le lieu d’accueil n’a plus à gérer 76€ par jeune par mois + 49 € par semaine mais peut suivre…Ce sont des solutions utilisées par exemple par certaines associations… A 18 ans le jeune est prêt à gérer seul son budget mais dans de nombreux cas n’a plus d’aide en devenant majeur… Et si cela a été traité avec une association, si le jeune n’est plus suivi à la majorité, il se retrouve parfois sans ce compte bancaire. »
2/ Le placement en France, et le transfert de dommage et intérêts dans un autre pays, auquel a droit un enfant.
Exemple : Enfant dont la mère d’origine latino américaine a été assassinée en France. Il a appris à 13 ans par internet que sa mère se prostituait. L’enfant vit chez sa grand-mère aux Etats Unis. Le jugement a eu lieu en France . Des dommages et intérêts ont été attribués au jeune. L’argent a été placé mais il a fallu plusieurs années pour que l’argent lui soit transféré aux Etats Unis pour payer ses études.
3/ La récupération d'argent à la majorité (allocations de rentrée scolaire par exemple).
Depuis 2016, la loi a confié à la Caisse des Dépôts la mission de recevoir et de protéger les allocations de rentrée scolaire (ARS) des enfants confiés au service de l’aide à l’enfance. Les sommes sont versées sur un compte de dépôt spécialisé et sont conservées jusqu’à leur majorité ou leur émancipation. La Caisse des Dépôts remplit ainsi son rôle d’acteur neutre et de tiers de confiance.
La difficulté est pour le jeune de récupérer auprès de la CAF ce pécule à 18 ans du fait parfois du non accompagnement du jeune, de la démarche à faire sur internet, des documents demandés (en particulier pour des enfants d’origine étrangère).
Exemple : Jeune accompagné en tant que mineur par l’aide sociale à l’enfance.
4/ Nécessité d’élargir l’éducation financière dans les programmes scolaires dès l’école primaire et pour tous les enfants.
En effet, les enfants de plus en plus en jeunes ont un téléphone portable où ils sont sollicités pour des achats sur internet, des crédits, des arnaques nombreuses (revente de sms au début qui sert d’accroche, puis jeux payants, voire parfois argent contre nudes…), des achats à crédits trop faciles à faire sur des sites basés à l’étranger.
Exemple :
Aujourd’hui, Educfi (Education financière proposée par la Banque de France avec des associations dont le Secours Catholique-Caritas France) offre des outils et des démarches dans le cadre scolaire… mais tous les élèves n’en bénéficient pas. Des ateliers sont mis en place par des associations (ex : Familles rurales dans le Loiret) pour apprendre à gérer un budget, avec le jeu « Budgetissimo ». Cet outil ludique et pédagogique s’adresse à tous les âges. Des accords sont passés avec AFPA, Armée, Centres sociaux. Ces animations évitent le mal endettement et le surendettement.*
L’éducation financière devrait être pour les jeunes dans les programmes scolaires de base dès le primaire en correspondance avec les finances d’aujourd’hui (adaptée aux nouveaux types de paiement, avec des contenus pour éviter les arnaques…)
5/ Idées reçues à faire tomber sur le jeune de l'ASE. Il n’est pas en général un délinquant quoiqu'en pensent certains, mais demande sensibilisation et formation des conseillers et cadres bancaires.
Exemple :
Les conseillers financiers sont peu au courant en général des questions de tutelle mineure ou administration ad hoc… et se rapprochent systématiquement de leur service régional ou national compétent. Mais cela amène des traitements très longs et la personne représentant le mineur n’a pas d’accès direct aux personnes compétentes sur cette question.
6/ Rôle et possibilité de l’administrateur ad hoc : indépendance utile par rapport aux services sociaux qui suivent les mineurs mais aussi complémentarité pour permettre aux enfants d’accéder à leurs droits.
Exemple : Le manque de formation des administrateurs ad hoc ne facilite pas le règlement des questions financières.
7/ Micro-épargne
Le sujet est peu développé. Mais serait vraiment à réfléchir pour permettre aux mineurs de se constituer un pécule utile à la majorité.
La micro-épargne est une réserve d’argent constituée de petites sommes qui n’ont pas été consommées ni par les dépenses contraintes ni par les dépenses quotidiennes. Elles auraient été invisibles si elles n’étaient pas mises de côté. Épargner peu à peu de petites sommes (dès 1 euro) permet de mieux maîtriser son budget et ses dépenses. Cela ouvre la possibilité de réaliser un projet, faire face à une dépense imprévue ou tout simplement se faire plaisir ou faire plaisir à ses proches.
La micro-épargne accompagnée permet de répondre à un besoin exprimé par des personnes rencontrant des difficultés financières : être appuyé dans sa démarche d’épargne, être secondé dans la définition d’un projet et être conseillé dans l’usage du numérique pour devenir autonome sur la gestion en ligne de son livret de micro-épargne et plus généralement sur la constitution d’une épargne. Cet accompagnement peut être fait, notamment par des bénévoles d’associations ou un CCAS qui peuvent, de surcroit, décider d’abonder l’épargne constituée.
Exemple : Cela peut contribuer à permettre de bâtir un projet de vacances.
Une meilleure inclusion financière des enfants et jeunes suppose des actions dans différents domaines et auprès de différents publics
La question de l’inclusion bancaire suppose des actions complémentaires auprès du Ministère des Finances (Le trésor), de la Banque de France, des établissements bancaires, de l’Education Nationale, des écoles de travailleurs sociaux… des Caisses d’Allocations familiales, des Conseils départementaux…
- Des règles bancaires précises pour faciliter l’accès au compte bancaire pour TOUS les jeunes
- Un compte universel accessible à tous (permettant d’envoyer de l’argent à l’étranger, utiliser une carte comme des espèces…). Des précisions sur les pièces d’identité à produire pour les jeunes lors de l’ouverture d’un compte.
- La formation des travailleurs sociaux, administrateurs ad hoc, conseillers et cadres bancaires…
- Un élargissement des actions d’EDUCFI et une meilleure connaissance de ce qui est proposé à tous les niveaux scolaires
- La sensibilisation des Caisses d’allocation familiale sur les pécules des jeunes de l’Aide sociale à l’enfance et une simplification de la procédure pour récupérer les allocations de rentrée scolaire mieux explicitée aux enfants.
- Une réflexion sur la micro-épargne pour les jeunes
Télécharger le Manifeste pour une inclusion financière universelle et sa synthèse
Secours Catholique - Caritas France
Le Secours Catholique - Caritas France participe à la lutte contre la traite des êtres humains sous toutes ses formes (exploitation sexuelle, travail forcé, esclavage domestique, incitation au vol, incitation à la mendicité, trafic d’organes...) en soutenant des initiatives locales en France et dans différents pays et en développant des actions de plaidoyer auprès des acteurs institutionnels.
Il s’agit :
d’améliorer la prévention des populations à risque,
de sensibiliser le grand public,
de mettre en réseau les acteurs locaux pour développer l’échange d’informations et l’interaction,
d’accompagner les victimes (aide psychologique, juridique, sociale)
et enfin de développer des activités de plaidoyer aux niveaux national et international.
Le Secours Catholique - Caritas France qui coordonne le Collectif "Ensemble contre la traite des êtres humains" est membre de la plateforme européenne de lutte contre la traite des êtres humains créée par la Commission européenne.
Le Secours Catholique - Caritas France collabore régulièrement avec le GRETA du Conseil de l’Europe et interpelle le Comité des Parties à la Convention du Conseil de l'Europe contre la traite des êtres humains afin que le suivi de celle-ci interpelle les gouvernements signataires chargés de leur application dans leur pays.
Il est aussi membre du groupe de pilotage du réseau mondial Coatnet piloté par Caritas Internationalis, ce qui favorise des collaborations et partenariats avec diverses organisations de tous les continents.
Il intervient régulièrement avec le réseau Caritas présent dans 160 pays, dont il est le membre français, auprès des institutions de l'ONU : Conseil des droits de l'homme, Comité des droits de l'Enfant, rapporteurs spéciaux...