Pour les victimes de traite, sortir de l’exploitation est un processus qui demande du temps.
Souvent sous emprise depuis leur parcours migratoire, elles sont isolées et enfermées dans un système clos qui dépend entièrement de leur(s) exploiteur(s).
Elles sont alors contraintes à se prostituer par celui-ci pour payer leurs dettes du voyage. A cela se rajoute des frais exorbitants pour payer leur hébergement, leur nourriture tec…
L’hébergement, une porte ouverte vers un autre devenir
Dans ce contexte, l’accueil, l’accompagnement spécifique et l’hébergement des victimes de traite est un levier fondamental dans leur parcours de sortie d’exploitation. Pour celles qui souhaitent clairement couper la relation avec le réseau, il assure leur mise à l’abri. Mais pour la plupart des victimes, la prise de distance avec l’exploiteur se fait progressivement.
Dans ce processus, l’hébergement dans un centre d’accueil adapté, intégrant un accompagnement sanitaire, social, psychologique, juridique, est déterminant.
Se libérer d’une partie de l’emprise
Tout d’abord, l’hébergement en centre d’accueil spécialisé permet de se dégager du loyer souvent disproportionné que les exploiteurs demandent aux victimes. En diminuant leurs frais elles peuvent mieux négocier pour diminuer aussi le nombre de clients. C’est un autre possible qui s’invite dans le quotidien.
Ainsi libérées d’une partie de la pression financière qui pèse sur elles, elles sont alors moins dépendantes de l’exploitation sexuelle pour survivre, ce qui diminue d’autant l’emprise exercée par les auteurs.
Se distancier du réseau et entrevoir un autre avenir
L’hébergement en centre d’accueil permet à la fois de créer une distance par rapport au réseau, mais également une ouverture en dehors du système clos dans lequel les exploiteurs enferment et isolent les victimes.
Dans cet autre environnement, les personnes accueillies ne sont plus des marchandises, ni des victimes, mais des individus plus libres. De plus, elles sont entourées par des travailleurs sociaux qui les sensibilisent à l’exploitation et les informent de leurs droits et des leviers dont elles disposent pour y accéder.
La victime peut donc prendre progressivement conscience des réalités de l’exploitation et choisir de prendre de la distance par rapport au réseau afin de s’engager dans un autre projet de vie.
Ce n’est que lorsque cette distanciation est en cours que l’on peut imaginer entrer dans un processus d’insertion, notamment via le Parcours de Sortie de Prostitution. La régularisation administrative est aussi un point essentiel pour être éligible à un emploi et un logement.
Améliorer l’orientation des victimes de traite en centre d’accueil spécialisé
Identifier et accompagner au plus tôt les victimes de traite
La majorité des victimes de traite à des fins d’exploitation sexuelle issues de parcours migratoires arrivant en France lancent une procédure de demande d’asile orchestrée parfois par le réseau, sans connaitre les principes de cette demande de protection internationale. Elles sont alors orientées dans des hébergements pour demandeurs d’asile mais pour beaucoup, elles continuent à vivre en squat, hôtel ou autre abri de fortune et poursuivent leur activité prostitutionnelle pour rembourser leur dette, et survivre. Seulement, ces centres d’accueil ne prévoient pas d’accompagnement adapté aux situations de traite et ne garantissent pas la protection des victimes.
Les travailleurs sociaux en charge des demandes d’asile sont en première ligne. Il est nécessaire de les former à la question de la traite afin qu’ils puissent identifier les situations d’exploitation, informer les victimes de leurs droits, les accompagner et les orienter.
Adapter l’accompagnement à chaque victime
Pour qu’une victime parle, elle doit se sentir en sécurité et avoir confiance dans les professionnels qui l’entourent. Chaque victime a sa propre histoire : comment le réseau l’a récupéré ? Comment il la maintient dans l’exploitation ? Par quelle emprise ? Ces éléments peuvent différer d’une personne à l’autre : pression sur des enfants aux pays, croyance du juju, loyauté et dette symbolique avec la Madame etc…
Le travailleur social se doit d’identifier ces pressions car ils sont les éléments à travailler et donc deviennent des leviers d’émancipation.
Coordonner répression des auteurs et protection des victimes
En France, il n’y a pas de généralisation d’une coordination institutionnalisée entre les services de Police et les associations spécialisées sur la question de la traite. De ce fait, lors des démantèlements de réseaux, les victimes sont entendues par les services de polices mais rarement prises en charge ou orientées vers des services sociaux garantissant leur protection et un hébergement loin des réseaux. Elles peuvent alors être récupérées par les exploiteurs.
Une meilleure coordination entre la Police et la société civile les acteurs sociaux et du médico-social, juristes... permettrait de mieux protéger les victimes de traite en les orientant vers des centres d’accueil spécialisés.
Ces centres ne sont pas une fin en soi mais une étape vers la reconstruction.
L’Amicale du Nid
L’Amicale du Nid (AdN) est une association qui compte 75 ans d’engagement auprès des personnes en situation de prostitution, victimes du système prostitutionnel, du proxénétisme et de la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle pour un accompagnement vers la sortie. C’est une association laïque, indépendante de toute organisation ou parti. Ses principes sont l’égalité entre les femmes et les hommes, la non-patrimonialité du corps humain qui ne peut être considéré comme un bien ou une marchandise, la dignité de la personne humaine visant à garantir son intégrité physique et psychologique contre toute atteinte extérieur.
L’association est présente sur 15 départements et compte plus de 200 professionnel.les qualifié.es et régulièrement formé.es. Elle inscrit son action dans un continuum au service de la prévention et de la lutte contre le système prostitutionnel :
Le plaidoyer ;
La prévention, la sensibilisation, la formation (l’AdN est organisme de formation), des diagnostics territoriaux, des recherches-actions, des missions mineur.es sur 5 départements : 1 500 professionnel.les sensibilisé.es et formé.es et 400 jeunes rencontré.es en intervention de prévention par an ;
L’aller-vers : 3 300 personnes rencontrées dans l’espace public, 1 700 sur Internet ;
L’accompagnement social global personnalisé : 4 500 personnes accueillies, 1 400 accompagnées ;
L’hébergement et le logement accompagné avec plus de 480 places : plus de 1 300 personnes hébergées ou logées par an (dont plus d’1/3 d’enfants).
L’adaptation à la vie active avec deux ateliers d’adaptation à la vie active (AAVA) comptant 38 places avec près de 90 stagiaires par an.
Article écrit en collaboration avec Leila Selkim, Cheffe de service à l’Amicale du Nid à Marseille.