Depuis plusieurs années, l'Amicale du Nid observe une augmentation du nombre de femmes victimes d’exploitation sexuelle sud-américaines. Que ce soit en rue, dans des camionnettes ou sur Internet, cette forme de traite internationale se développe en France et en Europe.
L’exploitation sexuelle de femmes sud-américaines s’observe essentiellement sous 2 formes : en camionnettes, plutôt dans les territoires ruraux, et sur Internet via des sites d’annonces. Dans ce cas, l’exploitation se déroule dans des hôtels ou des appartements loués à travers des plateformes du type Airbnb.
Les victimes sont de différentes nationalités : Colombiennes, Vénézuéliennes, Dominicaines, Brésiliennes... Elles sont très majoritairement adultes, et ont pour la plupart entre 25 et 45 ans.
Un recrutement de victimes qui s’inscrit sur les vulnérabilités des personnes
Avant d’être recrutées par un réseau, les femmes ont généralement eu un parcours de vie difficile : violence conjugale, inceste, précarité économique, problèmes familiaux... Autant de vulnérabilités que vont exploiter les auteurs de traite pour les séduire et les recruter. Ils promettent un avenir et un travail en Europe aux futures victimes, qui cherchent avant tout à s’extraire de leurs conditions de vie. Les recruteurs sont des membres de l’entourage de ces femmes, en lien avec leur famille ou faisant partie de celle-ci.
Les auteurs organisent le trajet des personnes recrutées et payent leur billet d’avion et leur passeport. Celles-ci arrivent donc en France avec une dette de voyage envers le réseau.
Des victimes multi-dépendantes du réseau d’exploitation
A leur arrivée en France, les femmes sont hébergées, transportées et exploitées par le réseau. Elles doivent alors s’acquitter auprès de lui, en plus de leur dette initiale de voyage, du loyer de leur logement et de la camionnette ou autres lieux de passe, des frais de transport…
L’ensemble de leurs conditions de survie dépend de leurs exploiteurs, qui ont ainsi une emprise considérable sur elles. Toute tentative de s’extraire de ce système d’exploitation est alors quasiment impossible à envisager.
Des moyens de pressions multiples amplifiant l’emprise sur les victimes
Les moyens de pression sur les victimes sont multiples :
- Recours aux violences physiques et sexuelles,
- Humiliations,
- Menaces sur la famille restée au pays,
- Menace de divulguer les images prises en prostitution à l’entourage des victimes resté au pays…
Des auteurs qui sont d’anciennes victimes
Les auteurs de la traite sud-américaine repérés en France sont essentiellement des femmes, elles-mêmes issue de l’immigration et anciennes victimes d’exploitation. Des sommes d’argent importantes générées par la prostitution sont envoyées dans leur pays, ce qui laisse supposer que les têtes de réseaux y sont implantées, sans que l’on ne sache véritablement comment ils sont organisés.
En France, ces femmes autrices gèrent un territoire, sur lequel elles exploitent des victimes en provenance de différentes nationalités (aussi bien sud-américaines qu’africaines), et engagent des hommes de seconde main pour héberger les personnes, les transporter, collecter l’argent…
En cas de conflit, ou dans le but de soumettre les victimes, elles n’hésitent pas à commanditer des expéditions punitives, des viols et des règlements de compte d’une grande violence, à l’instar des autres formes de criminalité.
L’intervention positive des paires aidantes
Les victimes sud-américaines sont généralement adultes. Elles ont souvent le sentiment d’avoir choisi leur parcours migratoire et le système d’exploitation dans lequel elles sont enfermées. Peu d’entre-elles se considèrent comme victimes. De ce fait, elles sont peu enclines à porter plainte et s’engager dans une procédure judiciaire, ou à solliciter un accompagnement social et juridique.
Dans ce contexte, l’intervention de paires aidantes peut jouer un rôle important. Elles sont d’anciennes victimes et acceptent de s’investir auprès des personnes pour partager leur expérience et les encourager à s’extraire de la prostitution.
Les échanges entre ces femmes au vécu similaire ont des répercussions positives sur la prise de conscience des victimes de leur situation de traite et leur cheminement vers la sortie d’exploitation.
Des mesures à prendre pour lutter contre cette forme de traite et protéger les victimes
Favoriser la collaboration entre la police et les associations
La collaboration entre les autorités judiciaires et les associations, déjà existante mais de façon parcellaire, doit être améliorée. Les associations doivent pouvoir intervenir auprès des victimes en amont des auditions pour les rassurer, les informer sur leurs droits (séjour, allocation, hébergement…) et sur le fait qu’elles sont en France considérées comme des victimes, et qu’elles peuvent ainsi porter plainte contre les auteurs et se constituer partie civile.
Le but est de favoriser leur protection et leur collaboration avec les autorités pour faire avancer les enquêtes.
Dissocier l’accès aux droits et à la protection de l’issue de la procédure judiciaire
En France, l’accès au séjour et aux aides sociales pour les victimes de traite dépend de l’issue de la procédure judiciaire. Or, celle-ci est longue et place les victimes dans un climat instable et incertain pendant plusieurs années avant de pouvoir s’engager durablement dans un projet d’insertion sociale et professionnelle. C’est un frein important dans l’engagement des victimes vers la sortie d’exploitation.
C’est pourquoi, à l’instar d’autres pays européens, il faudrait garantir le droit au séjour et aux aides sociales aux victimes de traite indépendamment de l’issue de la procédure judiciaire.
Assurer la protection immédiate des victimes
Il y a très peu de possibilités de mise à l’abri immédiate des victimes en sortie d’exploitation ou suite à un démantèlement. Celles-ci se retrouvent alors en rue et sont exposées au risque d’être reprise par les réseaux.
C’est pourquoi il est urgent de prévoir des dispositifs de protection immédiats, incluant un hébergement et une mise à l’abri pour les victimes suite aux interventions des autorités judiciaires.
Institutionnaliser la coopération internationale et interrégionale
Pour lutter contre ces réseaux de traite internationaux et interrégionaux, il serait nécessaire d’instituer systématiquement des coopérations entre les institutions judiciaires au niveau local et international.
Cela permettrait un partage efficace des informations liées aux enquêtes et une mobilisation conjointe des structures locales et nationales lors des interventions judiciaires.
Bien que cela existe partiellement, cette coopération mériterait d’être systématisée.
L’Amicale du Nid
L’Amicale du Nid (AdN) est une association qui compte 75 ans d’engagement auprès des personnes en situation de prostitution, victimes du système prostitutionnel, du proxénétisme et de la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle pour un accompagnement vers la sortie d'exploitation. C’est une association laïque, indépendante de toute organisation ou parti. Ses principes sont l’égalité entre les femmes et les hommes, la non-patrimonialité du corps humain qui ne peut être considéré comme un bien ou une marchandise, la dignité de la personne humaine visant à garantir son intégrité physique et psychologique contre toute atteinte extérieur.
L’association est présente sur 15 départements et compte plus de 200 professionnel.les qualifié.es et régulièrement formé.es. Elle inscrit son action dans un continuum au service de la prévention et de la lutte contre le système prostitutionnel :
Le plaidoyer ;
action spécifique d’aide aux victimes d’infractions pénales : accompagnement juridique dédié, constitution de partie civile, chiffrage des préjudices
La prévention, la sensibilisation, la formation (l’AdN est organisme de formation), des diagnostics territoriaux, des recherches-actions, des missions mineur.es sur 5 départements : 1 500 professionnel.les sensibilisé.es et formé.es et 400 jeunes rencontré.es en intervention de prévention par an ;
L’aller-vers : 3 300 personnes rencontrées dans l’espace public, 1 700 sur Internet ;
L’accompagnement social global personnalisé : 4 500 personnes accueillies, 1 400 accompagnées ;
L’hébergement et le logement accompagné avec plus de 480 places : plus de 1 300 personnes hébergées ou logées par an (dont plus d’1/3 d’enfants).
L’adaptation à la vie active avec deux ateliers d’adaptation à la vie active (AAVA) comptant 38 places avec près de 90 stagiaires par an.
Article écrit en collaboration avec Agnès Bonneau, Cheffe de service à l'Amicale du Nid.