
Parmi les femmes étrangères victimes de traite à des fins d’exploitation sexuelle qui s’engagent dans un Parcours de Sortie de Prostitution, nombreuses sont celles qui sont enceintes ou qui ont un enfant en bas âge. Pour celles-ci, la grossesse ou la maternité ont souvent été un déclencheur pour reprendre le contrôle de leur vie. Dans ce cas, un accompagnement spécifique s’impose, intégrant leur(s) enfant(s) et un soutien dans leur rôle de mère.
Dans la majorité des cas, ces femmes sont arrivées assez jeunes en France, dans les années 2015 / 2019, pensant trouver une situation et du travail. En raison de la dette qu’elles devaient aux trafiquants qui les ont menées en France, elles sont tombées sous l’emprise des madames - des femmes proxénètes appartenant au réseau - qui les ont soumises à l’exploitation sexuelle.
Aujourd’hui acquittées de leur dette, une partie d’entre-elles sont retombées dans l’exploitation, victimes d’un lover boy, qui est en général leur compagnon, et qui profite de leur précarité pour les forcer à se prostituer.
Dans la majorité des cas, c’est de ce lover boy que les femmes tombent enceintes. La plupart du temps, elles sont forcées à avorter. Mais pour celles qui souhaitent garder leur enfant tout en restant avec leur compagnon, la grossesse et les premiers mois de l’enfant leur offrent une courte trêve dans l’exploitation sexuelle, même si elles peuvent être alors victime de servitude domestique. Ensuite, l’exploitation sexuelle reprend rapidement.
Ces jeunes mamans sont donc soumises à la traite en raison de l’emprise qu’exerce sur elles leur petit ami et proxénète, à travers une relation toxique. Elles ne voient alors pas d’autres moyens pour survivre et subvenir aux besoins de leur famille.
Mais pour certaines, la grossesse ou la maternité peuvent être un déclencheur pour s’extraire du système prostitutionnel.
Souhaitant protéger leur enfant, elles recherchent un cadre stable et sécurisant pour l’élever, en dehors de la traite.
Elles se tournent alors vers des associations afin d’être accompagnées pour se libérer de l’emprise de leur compagnon et du réseau et s’engager dans un projet d’insertion.
Un manque crucial d’hébergement, en particulier pour les femmes avec enfant(s) de plus de 3 mois
Lorsque que les femmes décident de se libérer de l’exploitation sexuelle, elles se retrouvent pour la plupart en situation de rue car elles étaient hébergées par le réseau ou leur lover boy.
Or, l’hébergement d’urgence est saturé à Paris. Et bien que les femmes enceintes ou qui ont un bébé de moins de trois mois soient prioritaires, il est tout de même difficile de leur trouver un toit. C’est encore plus compliqué pour celles dont l’enfant a plus de trois mois, qui ne sont de ce fait plus prioritaires, et qui requièrent un logement qui permette de les accueillir avec leur(s) enfant(s).
Sur Paris, des solutions d’hébergement sont à développer pour permettre à ces femmes de s’occuper de leur(s) enfant(s) dans des conditions décentes.
Être mère malgré les traumatismes de l’exploitation et la précarité
Ces femmes sont arrivées très jeunes en France. Elles ont été exploitées sous l’emprise d’une personne toxique et en gardent des séquelles psychologiques. A la sortie du réseau, elles se retrouvent livrées à elles-mêmes dans une situation de grande précarité.
Il leur est alors très difficile de puiser dans leurs ressources physiques et psychiques, déjà mises à mal par leur vécu et leurs conditions de vie, pour élever leur enfant et lui accorder toute l’attention dont il a besoin. Par ailleurs, elles n’ont souvent pas les moyens financiers de subvenir aux besoins élémentaires de leur bébé (couches, alimentation, vêtements…).
C’est pourquoi, en parallèle de l’accompagnement destiné à stabiliser leur situation et leur équilibre psychologique, ces femmes ont besoin d’un soutien spécifique pour les aider à assurer leur rôle de mère et mettre en place un cadre relationnel et éducatif positif pour l’enfant.
Début de l’infographie
Les spécificités de l’accompagnement des jeunes mamans en sortie d’exploitation
Ces femmes doivent mener de front :
- Leur reconstruction psychologique,
- La stabilisation de leur situation sociale
- Leur projet d’insertion professionnelle
Tout en assurant leur rôle de mère et le maintien d’un cadre positif et bienveillant permettant à leur enfant de grandir et de se développer.
C’est pourquoi, en plus du suivi social, juridique et psychologique de la maman, l’accompagnement de ces femmes doit inclure leur enfant et un soutien à la maternité comprenant :
- Une aide particulière pour trouver un hébergement pouvant les accueillir avec leur(s) enfant(s)
- Une aide pour subvenir aux besoins élémentaire de l’enfant (couches, alimentation, vêtements…)
- Un accompagnement individuel et des ateliers collectifs destinés à les aider à mobiliser leurs ressources pour apporter toute l’attention nécessaire à l’enfant et mettre en place le cadre relationnel et éducatif dont il a besoin pour se développer et grandir.
- Un suivi de la Protection Maternelle Infantile ainsi que d’un pédiatre pour répondre aux besoins de l’enfant et soigner la relation mère / enfant(s).
- Des activités et séjours spécifiquement adaptés aux familles afin de leur offrir des temps de repos et d’épanouissement tout en renforçant les liens mères / enfants.
- Une aide dans les démarches à effectuer avec la crèche ou les écoles
Fin de l’infographie
L’obstacle du manque de moyens de garde dans le processus d’insertion professionnelle
Lorsque ces femmes sont prêtes à s’engager dans un processus d’insertion professionnelle, elles sont confrontées à la difficulté de trouver des places en crèches. Sans moyen de garde, elles sont alors dans l’impossibilité d’exercer un travail. C’est aujourd’hui un frein important à la réinsertion de ces personnes.
Il semble indispensable d’ouvrir des places spécifiques en crèches pour ces familles monoparentales afin que la question de la garde des enfants ne soit plus un frein dans l’insertion professionnelle de ces jeunes mamans.
Aux Captifs, la Libération
L’association Aux Captifs, la Libération est née en 1981 pour aller vers les personnes à la rue en situation de précarité à l’intérieur de Paris, aux Bois de Boulogne et Bois de Vincennes ; avec aujourd’hui 25 maraudes hebdomadaires à destination des personnes en situation de rue ou/et d’exploitation sexuelle ou de prostitution, parfois victimes de traite des êtres humains.
Elle a aussi des équipes bénévoles à Bordeaux, Lyon et Nîmes.
Le cœur de sa mission est d’aller à la rencontre des personnes sur leur lieu de vie et ou d’exploitation. L’idée est d’aider chacun et chacune à construire un projet de vie, pouvant aller jusqu’à la sortie de la prostitution.
Les équipes de bénévoles et de salariés ont développé une expertise dans la rencontre, l’identification, l’accueil et l’accompagnement des personnes.
L’association propose également des permanences d’accueil et un accompagnement global à travers accompagnement social, accès au soin et au droit grâce à un maillage associatif adapté.
Les propositions de l’association visent à favoriser la liberté de choix des personnes dans leurs parcours. L'association déploie des activités de mobilisation /dynamisation ainsi que des séjours de rupture, comme autant de leviers de reconstruction vers une capacité à exercer sa liberté voire une insertion.
L’identification spécifique des victimes de traite aux fins d’exploitation sexuelle, mineures et majeures, est une des priorités de l’association ; tout comme la sensibilisation des pouvoirs publics et de la société aux problématiques liées à la traite des êtres humains.
L’association est agréée depuis 2017 par l’Etat pour accompagner des parcours de sortie de prostitution et de traite à des fins d’exploitation sexuelle.
Article écrit en collaboration avec Gilles Badin, directeur opérationnel à Aux captifs la libération, en charge du pôle prostitution, exploitation sexuelle et traite des êtres humains.