
Lors de la réunion biannuelle de suivi du plan national de lutte contre la traite organisée par la Miprof le 27 juin 2025, Hors la Rue a souhaité notamment, mettre en lumière l’augmentation préoccupante des cas d’exploitation sexuelle touchant des jeunes mineures françaises relevant de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) et parfois de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) présentes à Paris dans le quartier de la gare du nord.
L’observation de la recrudescence de ce phénomène date de 2023. Les auteurs, souvent de jeunes hommes majeurs, sont motivés par la « rentabilité » de cette forme d’exploitation par rapport à d’autres types de criminalité.
Par ailleurs, aujourd’hui, ces situations d’exploitation ne sont pas suffisamment repérées et identifiées par la police, ce qui participe au développement de l’exploitation de ces jeunes filles issues pour la plupart des foyers de l’Aide Sociale à l'Enfance.
Par son intervention, Hors la Rue souhaite alerter les acteurs politiques, institutionnels et associatifs sur les spécificités de cette forme d’exploitation en expansion et les mobiliser afin de mettre en place des mesures adaptées pour protéger, en particulier, les jeunes filles qui en sont victimes.
Des jeunes aux vulnérabilités multiples exploités par les auteurs
Les jeunes filles victimes présentent de nombreuses vulnérabilités que les auteurs utilisent pour exercer leur emprise et les exploiter.
Ce sont tout d’abord des mineures qui sont très souvent fragilisées par leur vécu familial. Elles ont pour la plupart subi des violences dès leur enfance, sources de traumatismes et de troubles psychiques. Placées en foyer, elles sont en recherche de nouvelles attaches, d’un nouveau groupe d’appartenance. C’est souvent ce qui les pousse à fuguer.
En général, la gare du nord leur est présentée par des amies où sur les réseaux sociaux comme une destination où cela est possible, un lieu d’émancipation.
C’est ici qu’elles seront très vite repérées et abordées par les auteurs de traite, qui leur proposent en général un hébergement ou des médicaments, un semblant de protection ou une présence affective afin de créer un premier lien de dépendance, avant de les exploiter.
Une grande partie de ces jeunes filles souffrent de handicap, tels que le Syndrome d’Alcoolisation Fœtal, qui conduit à l’altération de capacités cognitives.
Qu’il s’agisse de fragilités psychiques ou de troubles cognitifs, les exploiteurs ont parfaitement conscience de ces vulnérabilités. Ils les utilisent pour séduire ces jeunes filles, et installer leur emprise psychologique.
Pour la plupart, elles sont exploitées sexuellement, mais peuvent également être contraintes à commettre des délits.
La création d’un lien de confiance par le soin, un préalable indispensable à l’adhésion à la prise en charge
La première difficulté à laquelle sont confrontés les acteurs en lien avec ces profils vient du fait que ces jeunes filles n’ont pas conscience d’être victimes d’exploitation. Elles considèrent généralement leur exploiteur comme leur petit ami.
Par ailleurs, elles ont souvent vécu dans un climat de violence depuis leur enfance et ont intégré et banalisé ces conditions de vie.
C’est pourquoi elles ne sont pas en recherche de protection et ne parlent que très peu de ce qu’elles subissent, le mettent à distance en en parlant au passé ou en désignant d’autres jeunes filles comme les victimes.
De ce fait, l’identification de leur véritable situation d’exploitation est complexe. Il est nécessaire de connaitre un certain nombre d’indicateurs afin de les repérer.
Ensuite, il est essentiel de créer un premier lien de confiance avec ces jeunes filles, par la régularité et la fréquence des rencontres au quotidien, au travers desquelles elles pourront prendre petit à petit conscience de leur statut de victime d’exploitation et se livrer sur leurs véritables conditions de vie.
Ce travail prend du temps, mais il est indispensable à l’adhésion à une prise en charge et au désir de s’engager dans un autre projet de vie.
Dans ce contexte, les soins de santé sont souvent une occasion d’établir un premier contact positif avec ces adolescentes et d’installer un climat de confiance avec elles.
En effet, souffrant de troubles psychiques, de problèmes de santé dus à l’exploitation sexuelle, aux violences subies, ou à la consommation de médicaments, ces mineures ont avant tout besoin de soins.
Pour cela, il est nécessaire de créer des partenariats avec différents services de santé, tels que les Unités d’Accueil Pédiatrique des Enfants en Danger ou les services addictologiques, afin de leur faciliter l’accès aux soins. Par ailleurs, les professionnels de santé qui reçoivent ces jeunes filles peuvent les orienter vers des associations spécialisées pour les accompagner.
En coopérant et en entourant ensemble ces adolescentes, les professionnels de santé et les associations créent un lien de confiance avec elles, nécessaire pour les amener progressivement vers la sortie d’exploitation.
Des solutions pour améliorer la protection de ces jeunes filles
Aujourd’hui, il existe trop peu de dispositifs spécifiques, adaptés aux situations de ces jeunes victimes. Il n’y a pas encore de réponse institutionnelle efficace pour venir en aide à ces adolescentes.
Il serait nécessaire de créer de nouveaux centres d’accueil, dont l’approche pluridisciplinaire serait tournée vers le soin physique et psychique, incluant une dimension addictologique, et dont le cadre serait assez souple, peu contraignant, pour s’adapter à ces profils
Ces lieux de mise à l’abri et de prise en charge devraient pouvoir être mobilisés très rapidement afin de permettre une protection immédiate des jeunes filles. Ils deviendraient une solution d’urgence avant un placement pérenne et durable.
Par ailleurs, le territoire de la gare du nord bénéficie d’une forte présence policière. En sensibilisant et formant les forces de l’ordre au repérage et à l’identification de ces situations d’exploitation, ainsi qu’à l’accueil et l’orientation des victimes, la police locale pourrait jouer un rôle important dans la protection de ces adolescentes, avant même le déclenchement d’une enquête.
D’une façon plus globale, la sensibilisation, la formation et la coopération de l’ensemble des acteurs gravitant au quotidien autour de ces jeunes filles (autorités judiciaires, justice, associations spécialisées, professionnels de l’Aide Sociale à l’Enfance, services de santé…) permettraient d’améliorer nettement le repérage de ces situations d’exploitation et la protection de ces victimes mineures.