Devant l’ampleur du phénomène de traite à des fins d’exploitation économique au Maroc, le CCEM et 5 associations marocaines ont développé un projet international d’une durée de 3 ans dans le but de favoriser l’identification des victimes et l’accompagnement juridique de celles-ci.
Les origines du projet
Lors d’une étude statistique portant sur le profil des victimes accompagnées par le CCEM en 2016, il s’est avéré que 20 à 25% des victimes accompagnées chaque année sont d’origine et de nationalité marocaine. Un travail spécifique avec ce pays paraissait donc pertinent.
La même année, le Maroc adoptait la loi 27-14 définissant et réprimant l’infraction de traite des êtres humains, en conformité avec les standards internationaux. Cette loi ouvrait voie à une réflexion sur les possibles actions qui s’ouvraient aux associations membres de la société civile marocaine.
Entre 2016 et 2018, des membres du CCEM se sont rendus au Maroc à plusieurs reprises dans le cadre d’accompagnement de victimes mais aussi pour assurer des formations organisées par des organismes internationaux. C’est ainsi que des liens avec les associations locales ont pu être tissés, et une collaboration structurée envisagée.
M. B a 25 ans et est originaire d’une province rurale du Maroc, où il exerçait le métier d’éleveur.
Il fait un jour la connaissance d’un homme qui lui propose un travail au sein de son exploitation agricole en France. Il lui était promis un contrat à durée indéterminée avec un salaire de 1400 euros, le logement, ainsi qu’une assistance dans les démarches d’obtention d’un titre de séjour.
M. B devra néanmoins vendre tout son pâturage afin de payer une somme faramineuse à l’employeur au titre des frais de voyage vers la France, somme qu’il devra rembourser avec son salaire.
Arrivé en France, M. B se voit soumis à des conditions de travail indignes : le logement, sur son lieu de travail, est insalubre et occupé par une dizaine d’autres employés.
Ne disposant ni de draps ni de couvertures, il se fabrique lui-même une couverture avec des sacs de toile de jute et se lave à l’aide de sceaux d’eau qu’il réchauffe dans le garage de son lieu de travail. Ses employeurs lui imposent de travailler de 14 à 18 heures par jour, le tout sous la pression et les insultes.
M. B travaille ainsi durant 8 mois au total dans cette exploitation, avant de tomber malade. Remercié, il doit quitter l’exploitation sans avoir jamais touché un seul salaire.
Le 11 novembre 2015, Monsieur B. déposait plainte pour les faits d'exploitation par le travail avec l’appui du CCEM. Pendant l'enquête une deuxième victime se manifestait mettant en exergue un système de recrutement et d'exploitation d'agriculteurs marocains.
Le 19 septembre 2018 le tribunal correctionnel de Pontoise a condamné Monsieur R. à avoir maintenu Messieurs B. et D. dans des conditions de travail et d’hébergement indignes à une peine de 18 mois d'emprisonnement avec sursis. Ce jugement a fait l'objet d'un appel de l'adversaire.
Les objectifs du projet
Le concept de traite des êtres humains est donc très récent au Maroc : en conséquence, la reconnaissance des victimes est encore complexe, et les associations ne sont pas encore aguerries sur le plan juridique pour accompagner ces dernières.
Le projet a donc pour but de partager l’expérience de terrain et l’expertise juridique du CCEM sur ces questions, notamment sur le plan de l’identification des victimes et l’accompagnement juridique de celles-ci afin de se saisir efficacement de la nouvelle loi.
Les partenaires du projet SAVE pour l’identification et l’Accompagnement des Victimes de traite des Êtres humains
Le CCEM est basé à Paris, en France.
Les associations marocaines sont basées dans cinq régions différentes du Maroc toutes touchées par le phénomène :
-
Accueil, Ecoute et Orientation pour le soutien psychologique - Région de l’Oriental
- Afrique Culture Maroc - Région de Rabat-Salé-Kénitra
- Al-Karam - Région de Marrakech-Safi
- INSAF - Région de Casablanca-Settat
- Association Voix de Femmes Marocaines – Région de Souss-Massa
Le développement du projet
C’est un projet qui s’étalera sur 3 ans, de 2019 à 2022. Il inclut plusieurs volets.
Un travail collaboratif avec les associations marocaines
Il a pour but de concevoir des procédures et des outils d’identification des victimes et d’accompagnement juridique à travers des ateliers de travail collaboratif organisés sur place.
Des cycles de formation
Ils ont pour objectif de former les acteurs sur un point spécifique de l’identification ou l’accompagnement juridique. Une mission de suivi à mi-parcours est prévue pour réaliser un premier bilan avec les associations marocaines. En toute fin de projet, un atelier régional sera dispensé pour conclure cette collaboration.
Un soutien juridique opérationnel
Samir Hobeica, juriste au CCEM, apportera un appui opérationnel aux associations marocaines. Arabophone, il aura la capacité de réfléchir, sur la base des textes de lois marocains, aux stratégies d’accompagnement et aux choix à faire sur les dossiers individuels des victimes pour que les structures partenaires puissent intégrer et mettre en pratique les acquis des formations.
Le renforcement des dispositifs d’accompagnement social des acteurs locaux.
Il s’agit essentiellement un soutien financier destiné à l’aide matérielle apportée aux victimes (hébergement d’urgence, nourriture, déplacements…), et qui leur permettra de bénéficier d’un cadre de vie serein et sécurisé pour toute la durée de leur prise en charge . En effet, dans le cadre de l’exploitation par le travail, les victimes vivent généralement à même le lieu de travail et sont ainsi entièrement dépendantes de leur exploiteur.
Sans cette protection et assistance, elles n’auraient pas les moyens de quitter le lieu d’exploitation ou bien risqueraient de retomber dans des situations similaires.
De multiples bénéficiaires
Les premiers bénéficiaires du projet seront les associations partenaires. In fine, le but est d’assurer un accompagnement juridique et social complet aux victimes, de leur permettre de recouvrer leur dignité et d’endiguer le phénomène de traite par le travail au Maroc.
Le projet prévoit également la mise en place d’une coopération avec les institutions publiques et les agents de première ligne (enquêteurs, inspection du travail…) Les associations partenaires auront ainsi l’occasion de rencontrer et d’établir des liens d’entente et de coopération avec les représentants institutionnels du Royaume. Leur mobilisation joue en effet un rôle-clef dans l’identification des victimes et la poursuite des auteurs et l’idée serait de créer un langage commun entre les acteurs publics et la société civile afin de rendre la lutte contre la traite des êtres humains toujours plus efficace.
Des données utiles pour un plaidoyer efficace
En favorisant l’identification et l’accompagnement juridique des victimes, les associations auront des données qui permettront de quantifier, à leurs niveaux, de la réalité de la traite à des fins d’exploitation par le travail au Maroc. Cela leur permettra de rendre visible les problèmes sociétaux et d’accès au droit liés à ce phénomène.
Le Comité Contre l’Esclavage Moderne
L’Association, spécialisée dans la lutte contre la traite à des fins d’exploitation économique, a été créée en 1994 par des journalistes et des avocats.
L’accompagnement des victimes et les opérations de sensibilisation grand public ont toujours été à la base de l’action du comité.
Ses missions se répartissent en cinq pôles d’action :
L’identification et l’accueil des victimes
L’accompagnement social des victimes
L’accompagnement juridique des victimes
La sensibilisation et l’information du grand public et des acteurs de première ligne
Le plaidoyer
Article écrit en collaboration avec :
Roxane Ouadghiri Hassani
Chargé de développement de projet
Samir Hobeica
Juriste
Photo : Une femme victime de traite à des fins "d'exploitation domestique" recrutée en Côte d'Ivoire pour travailler au Maroc est reçue par l'association partenaire Afrique Culture Maroc, accompagnée et soutenue par une ancienne victime.