En France, l’exploitation sexuelle des mineurs est un phénomène en expansion. Afin de proposer une meilleure compréhension des mécanismes en jeux aux acteurs de terrain, ainsi que des éléments concrets pour mieux protéger les victimes, Ecpat a mené une recherche sur le sujet en Ile de France.
L’exploitation sexuelle des mineurs est multiforme. Elle touche une diversité de profils de victimes, aux vulnérabilités et aux parcours de vie différents. Selon les contextes, plusieurs types de systèmes d’exploitation entrent en jeu.
Face à cette complexité, l’étude vise dans un premiers temps à proposer aux acteurs de terrain une meilleure vision du phénomène.
Pour cela, elle s’articule autour de 3 types d’exploitation, représentatifs des problématiques les plus fréquemment rencontrées par les professionnels :
- La traite de jeunes filles nigérianes
Celle-ci touche les jeunes filles désireuses de migrer en Europe. Elles sont généralement recrutées dans le pays d’origine par des réseaux organisés. Les victimes se retrouvent piégées par la dette relative au trajet qu’elles doivent rembourser aux créanciers. Le plus souvent, les jeunes sont exploitées en étant prostituées dans la rue. - L’exploitation des jeunes filles françaises
Dans la majorité des cas, elle concerne des jeunes filles en rupture recrutées par des lovers boys sur les réseaux sociaux. Les victimes sont souvent sujettes à des formes d’addiction (stupéfiants, médicaments…) que les auteurs utilisent pour exercer leur emprise. Les auteurs sont organisés en petits réseaux, particulièrement souples et adaptatifs, calqués sur le modèle du trafic de drogues. Ils utilisent internet pour le recrutement et l’exploitation des victimes (sites d’annonces, réseaux sociaux…). - L’exploitation sexuelle des Mineurs Non Accompagnés
Celle-ci s’inscrit généralement dans des logiques de survie, les enfants ayant besoin d’argent pour rembourser leur dette migratoire ou avoir un hébergement. Elle concerne fréquemment des garçons. C’est un phénomène très peu visible, difficile à détecter, essentiellement en raison du tabou de l’homosexualité dans les cultures d’origine des mineurs. Les auteurs sont souvent des membres de la communauté de la victime.
Les facteurs essentiels de vulnérabilité
Parmi les victimes, on retrouve très fréquemment des jeunes issus de milieux défavorisés. Avant de tomber dans l’exploitation, la plupart ont déjà été exposés à des violences sexuelles ou de la maltraitance dans leur parcours de vie.
Ces éléments expliquent la forte présence de victimes dans les foyers d’accueil de l’Aide Sociale à l’Enfance. Les proxénètes en profitent pour recruter dans ce milieu des profils particulièrement vulnérables.
Ces vulnérabilités sont accentuées par l’hypersexualité prégnante dans la société actuelle, véhiculant l’idée de la possible marchandisation des corps. La période de l’adolescence rend les victimes particulièrement réceptives à ce type de message, car en période de découverte de la sexualité, et en recherche de solutions pour exister, s’émanciper, s’autonomiser.
Un dialogue difficile à instaurer sur un sujet sensible
Face aux situations d’exploitation des enfants, les professionnels de terrain se retrouvent souvent démunis. Parfois en difficulté pour aborder un sujet sensible et intime avec les jeunes, certains éducateurs peuvent aussi avoir tendance à opter pour une attitude moraliste envers les victimes, souvent improductive.
De leur côté, les jeunes filles voient parfois dans la prostitution un moyen de s’émanciper. Elles n’ont pas toujours conscience des traumatismes liés à l’exploitation sexuelle et ne se considèrent alors pas comme victimes. Elles peuvent même revendiquer le droit à disposer de leur propre corps.
C’est pourquoi l’étude présente aussi le point de vue des victimes. Le but est de permettre aux travailleurs sociaux d’en tenir compte dans la relation, sans pour autant y adhérer.
Cela passe par la compréhension des mécanismes d’emprise et des vulnérabilités qui conduisent ces jeunes filles à l’exploitation, afin de sortir du jugement et d’être en capacité d’instaurer un vrai dialogue sur le sujet, permettant ensuite de travailler sur la protection de la personne.
Les recommandations de l’étude
Prévenir les jeunes du piège de l’exploitation sexuelle à travers :
- Des campagnes de prévention sur les réseaux sociaux, présentant les dangers de l’exploitation sexuelle.
- Des actions directes (collectives et individuelles) de sensibilisation au sein des établissements scolaires et de protection de l’enfance intégrant une forme d’éducation positive à la sexualité et au rapport au corps.
- Des outils d’information et de médiation destinés spécifiquement aux Mineurs Non Accompagnés et aux jeunes accueillis en établissements de protection de l’enfance.
Guider, soutenir et former les professionnels de terrain
- En proposant des formations destinées à leur donner des clefs pour favoriser le dialogue avec les victimes et l’accompagnement vers la sortie d’exploitation.
- En mettant à disposition des professionnels des dispositifs de réflexion offrant un regard pluridisciplinaire sur l’exploitation des mineurs et l’accompagnement des victimes.
- En créant une équipe mobile spécialisée pouvant apporter son soutien direct à tous les acteurs de terrain. Elle intégrerait des juristes, des éducateurs, des psychologues, des médecins, des profils médico-sociaux, des addictologues…
Prévenir les victimes des risques de santé liés à l’activité prostitutionnelle
Cela permettrait de répondre aux besoins de protection immédiat des jeunes, tout en créant la possibilité du dialogue, en dehors de toute attitude moralisatrice. L’instauration de ce lien de confiance est souvent nécessaire à l’adhésion du mineur pour sortir de l'emprise.
Améliorer l’accompagnement des victimes
- En renforçant les moyens matériels et humains dans les structures d’accueil destinées aux Mineurs Non Accompagnés.
- En créant des foyers d’accueil spécialisés dédiés aux victimes mineures d’exploitation sexuelle
Améliorer l’action en justice
- En étendant la création de services d’enquêtes spécialisés et de références thématiques au sein des Parquets et des Tribunaux pour Enfants
- En favorisant l’apport d’expertise à la Justice par la constitution en partie-civile d’associations spécialisées lors des audiences devant les tribunaux
En plus de s’appuyer sur des recherches existantes, elle se base sur des entretiens avec des acteurs associatifs et institutionnels de terrain : éducateurs, travailleurs sociaux, psychologues, médecins, experts, procureur, policiers…
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ECPAT FRANCE
Membre du réseau international ECPAT (End Child prostitution, Child Pornography & trafficking of children for sexual purposes), ECPAT France est une association française créée en 1997.
Elle a pour mission de prévenir et de lutter contre toutes les formes de violence et d’exploitation sexuelle des enfants, y compris la traite, en ligne et hors ligne.
Ecpat France développe des projets en France et à l’international pour prévenir, protéger et réparer les droits des mineurs et les jeunes victimes. Elle porte une attention particulière à la participation et à la prise en compte des vues des enfants dans le développement et la conduite de ces projets.
Article écrit en collaboration avec Guillemette Vuillard, responsable de programme à ECPAT. L’étude est coordonnée par le chercheur Guillaume Coron.