Un accord sur la prise en charge des mineurs non accompagnés a été signé le 7 décembre 2020 par les ministres de la Justice français et marocain. Son contenu n’a pas été rendu public mais la communication du gouvernement sur le sujet laisse à penser qu’il vise essentiellement à faciliter le retour des mineurs au Maroc, sans apporter de garantie sur le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant prévu par la Convention Internationale des Droits de l’Enfant.
La question de la prise en charge des mineurs non accompagnés marocains préoccupe le gouvernement français. Ces jeunes, souvent en errance et dans des conditions de vie très précaires, sont fréquemment exploités par des réseaux criminels et contraints à commettre des délits : pickpocketing, vols, vente de stupéfiants…
Seulement, l’accord récent semble permettre une approche coercitive et faciliter le retour de ces mineurs au Maroc afin de préserver l’ordre public, sans suffisamment prendre en compte la particulière vulnérabilité de ces enfants.
Une procédure faisant l’impasse sur la protection des victimes de traite et l’intérêt supérieur de l’enfant
Selon les communications du gouvernement sur le sujet et un document « non officiel » mis en ligne détaillant le « Schéma de procédure pour la prise en charge de mineurs non accompagnés marocains » élaboré en 2019 qui semble fixer le cadre juridique de cet accord, plusieurs dispositions semblent contraires à l’intérêt de ces enfants, en particulier pour ceux qui sont victimes ou présumés victimes de traite.
La question centrale de la traite passée sous silence
La procédure prévue n’aborde à aucun moment les questions de la traite, de la contrainte à commettre des délits et de la mendicité. Or, les mineurs non accompagnés sont particulièrement exposés à ces types d’exploitation et en sont fréquemment victime.
Sans processus d’identification des situations d’exploitation, les victimes risquent d’être renvoyées au Maroc dans leur situation d’origine, et à nouveau exposées aux risques de traite.
La possibilité de retours contraints au Maroc, sans le consentement des mineurs
La procédure prévoit un recours à la force publique en cas de non-consentement du mineur. Le retour contraint du mineur est donc possible. Il prévoit également la possibilité de transmettre les éléments pénaux aux autorités marocaines, sans aucune notion d’information ou de sensibilisation à la question de la traite.
Les mineurs victimes de traite risquent d’être considérés comme des délinquants par les autorités marocaines et incarcérés à leur retour au pays.
Un signal répressif qui renforce l’isolement et la marginalisation des mineurs non accompagnés
Ces mesures répressives sont connues des mineurs non accompagnés. Elles peuvent ainsi renforcer leurs craintes vis-à-vis des institutions et des autorités françaises, rendant le travail socio-éducatif plus difficile encore.
Pour les mineurs, ces procédures creusent un peu plus le fossé qui les séparent des services sociaux et de l’accès à leurs droits et à la justice, coupant les liens qui pourraient leur permettre de s’extraire de l’exploitation dont ils sont parfois victimes.
Le travail éducatif dévoyé au maintien de l’ordre public
La procédure prévoit qu’un travail éducatif soit mené afin que le mineur adhère à une mesure de retour. Néanmoins, si le consentement du mineur n’est pas acquis, il est prévu, si l'on en croit le schéma de procédure diffusé par les associations, de recourir à la force publique.
Cela représente un vrai risque de détournement du rôle éducatif et social des associations et des acteurs de la protection de l’enfance,
Les recommandations de la société civile
Garantir l’intérêt supérieur de l’enfant
La prise en charge d’un mineur non accompagné doit reposer sur son intérêt supérieur. L’éventualité de son retour au pays est une simple option, et non une priorité, et doit s’envisager uniquement si toutes les conditions sont réunies pour garantir un cadre sain à l’enfant.
Cela implique notamment de s’assurer que sa famille soit en capacité de l’accueillir dans de bonnes conditions et de se prémunir du risque d’incarcération du jeune à son arrivée au Maroc.
L’identification des situations d’exploitation
Sur le sol français, tout mineur a droit à la protection. Il est de la responsabilité du gouvernement français de prévoir les processus d’identification des situations d’exploitation et de garantir la protection des mineurs à travers la mise en place de dispositifs d’accueil et de suivi des victimes.
La nécessité d’une approche sociale, bienveillante, et éducative des mineurs victimes de traite
Pour les mineurs victimes de traite, toute approche répressive les considérant comme délinquants ne fait que les marginaliser et les enfermer un peu plus dans l’exploitation.
Pour ces jeunes, dépendants de réseaux de traite pour survivre, un accompagnement social destiné à répondre à leurs besoins matériels (hébergement, vêtement, nourriture, soins…) est nécessaire pour leur donner la possibilité de sortir de l’exploitation.
Par ailleurs, seule une approche bienveillante et éducative inscrite dans la durée permet d’établir un lien de confiance avec ces jeunes.
C’est à travers une relation bilatérale qu’ils pourront se livrer sur leur situation d’exploitation et que peut naitre le désir de s’en extraire et d’envisager une autre vie.
Une collaboration étroite des différents acteurs pour répondre aux besoins des enfants
L’accompagnement des mineurs doit s’envisager en concertation avec les différents acteurs gravitant autour d’eux : la santé, la police, le parquet, les juges des enfants, les associations, la Protection Judiciaire de la Jeunesse, l’Aide Sociale à l’Enfance.
Cette collaboration doit permettre d’agir dans l’intérêt supérieur de l’enfant, en fonction de sa situation précise.
La société civile a donc demandé au ministère de la justice le contenu de cet accord franco-marocain afin d’envisager un travail de co-construction avec le gouvernement dont le but serait de mobiliser les moyens pour assurer la protection effective des mineurs non accompagnés.
Association Hors la Rue
Objectif
Depuis 2004 Hors la Rue a pour objectif d’accompagner les mineurs étrangers en danger vers le droit commun (parmi lesquels des mineurs présumés victimes de traite des êtres humains)
3 missions principales
Repérer les mineurs étrangers en danger,
Accompagner les jeunes vers le droit commun
Participer à une meilleure connaissance et prise en charge des problématiques des jeunes que nous accompagnons.
3 modalités d’actions
Des maraudes quotidiennes effectuées par une équipe pluridisciplinaire sur les lieux d’activité, de pause, d’errance et de vie.
Un centre d’accueil de jour.
Des permanences psychosociales en détention auprès de mineurs que nous avons déjà rencontrés en rue, en partenariat avec la Protection Judiciiare de la Jeunesse.
Article écrit en collaboration avec Aurelie de Gorostarzu, directrice d’Hors la Rue